Page:Spinoza - Éthique, trad. Appuhn, 1913.djvu/706

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
702
éthique

la volonté qui doit nous rendre contents, quoi qu’il arrive, n’est pas passible en général ; les stoïciens en font du pouvoir de l’homme une idée fausse : entre les choses qu’ils disent ne pas dépendre de nous et celles qu’ils croient dépendre entièrement de nous, ils tracent une ligne de démarcation toute fictive. Nous ne serons libres, au sens où ils l’entendent, que si nous devenons par la pensée maîtres de la nature entière ; il faut qu’à l’ordre commun que nous subissons nous substituions un ordre conforme à nous, c’est-à-dire à la raison (voir la préface de la cinquième Partie).


Partie V

Préface. — Spinoza va traiter de la puissance de l’âme ou de la raison (p. 586, lignes 10 et 11 ; on observera que la raison n’est pas identifiée à la puissance de l’âme, mais à l’âme elle-même : mentis seu rationis) ; il commence par écarter la doctrine du Portique et celle de Descartes. Suivant les stoïciens (voir ci-dessus la dernière note de la quatrième Partie), la volonté peut prendre un empire absolu sur les passions parce qu’il y a des choses qui ne dépendent que de nous ; doctrine inadmissible, tout étant lié dans la nature, et qui, exaltant l’homme en apparence, l’accable en réalité sous le poids du destin. Suivant Descartes, l’âme, distincte du corps, peut arriver à diriger les mouvements du corps ; mais évidemment, si l’âme peut se concevoir sans le corps et le corps sans l’âme, l’idée de l’union de l’âme et du corps ne peut se déduire ni de celle de l’âme ni de celle du corps et devient inintelligible dans son isolement. Descartes ne peut assigner aucune cause singulière (p. 590, ligne 11) à l’union de l’âme et du corps, non plus qu’à l’âme elle-même ; en faisant d’elle une chose ou substance distincte, loin de lui donner, comme il le voulait sans doute, une essence plus parfaite, il l’a rendue inconcevable et dépouillée de toute efficace véritable : la perfection, la vertu ou la puissance d’une âme ne consiste que dans la vérité ou la rationalité des idées qu’elle forme et dont elle est formée. Le cartésianisme, qui dote l’âme d’un libre arbitre imaginaire et l’enferme dans une sorte d’isolement métaphysique, conduit tout droit à l’occasionnalisme. Le stoïcisme, attribue à l’homme un pouvoir qu’il n’a pas et est en même temps un fatalisme. Seule la connaissance de notre véritable condition, de la nature et des causes de nos passions peut nous affranchir. Une