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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

en est-il de ce paysan qui, raconte-t-on, s’était figuré qu’il n’y avait pas de campagne au delà de celle qu’il était habitué à voir, et qui, ayant perdu sa vache et s’étant mis à sa poursuite, était stupéfait de voir qu’au delà de son petit champ il y en avait encore tant d’autres, d’une si vaste étendue. On peut en dire encore autant de ces philosophes qui se figurent qu’au delà de ce petit coin, ou globe de terre qu’ils habitent, il n’y a pas d’autres mondes, parce qu’ils n’en ont jamais contemplé d’autres. Aussi l’étonnement (admiration) ne se rencontre-t-il jamais dans ceux qui tirent de vraies conclusions. Voilà quant au premier point.

La seconde passion, à savoir l’amour, peut naître :

1o  Soit du ouï-dire ;

2o  Soit de l’opinion ;

3o  Soit des vraies idées.

Par exemple, le premier se fait voir dans les rapports de l’enfant à son père, car il suffit que le père ait dit que quelque chose était bon pour que l’enfant, sans plus ample information, prenne de l’inclination pour cet objet ; il en est de même de ceux qui sacrifient leur vie par amour pour la patrie, et de tous ceux qui prennent de l’amour pour une chose par le seul fait d’en avoir entendu parler.

Quant au second cas, il est certain que l’homme, lorsqu’il voit ou croit voir quelque chose de bon, tend à s’unir à cet objet ; et, en raison du bien qu’il y remarque, il le choisit comme le meilleur de tous, et en dehors de lui il ne voit rien de préférable ni de plus séduisant. Mais s’il arrive, comme cela est fréquent, qu’il rencontre un autre bien qui lui paraisse meilleur que le précédent, alors son amour se tourne sur l’heure du premier vers le second : ce que nous ferons voir plus clairement dans notre chapitre sur la liberté de l’homme.