Page:Staël - Œuvres inédites, II.djvu/81

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SIGEFROI.

Que dis-tu, malheureuse ! oses-tu parler de ta fille ?…

GENEVIÈVE.

N’achève pas ! n’outrage pas son innocence ! Bientôt tu ne douteras plus ni d’elle ni de moi. Mais si ton cœur se refuse encore à l’accent de l’amour, écoute un langage plus solennel. Notre vie tout entière, depuis dix ans, n’est qu’une suite de prodiges. Nous devions périr mille fois, sans la protection du ciel. L’auroit-il accordée à des coupables ? Ce calme qu’il a mis dans mon sein au milieu de tous les malheurs, l’as-tu goûté, Sigefroi, dans ton éclatante vie ? Après dix ans de solitude, penses-tu que le cœur puisse rester capable de mensonge ? Ah ! qui vécut dix ans en présence de son Dieu n’a plus à faire avec les ruses des hommes. Il me reste peu de temps à vivre, et toi-même, Sigefroi, tu ne pourrois me rendre le bonheur sur la terre : j’en ai perdu l’habitude, et mes forces n’y résisteroient pas. Écoute donc ma voix comme celle des mourans ; je me sens sur les confins de cette vie et de l’autre. Aimer, ô mon époux ! appartient à toutes deux. Que mon accent, que mes paroles dessillent enfin tes yeux, sans qu’il soit besoin d’aucun autre témoignage. Écoute…