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DELPHINE.

pourquoi me le nommez-vous ? Non, Delphine ne m’a rien caché. Delphine fausse ! dissimulée !… Si cela pouvait être vrai, son caractère serait le plus méprisable de tous ; car elle profanerait indignement les plus beaux dons que la nature ait jamais faits pour entraîner et convaincre.

Enfin, j’oserai vous le dire, sans porter atteinte au respect profond que j’aime à vous consacrer, je suis résolu à épouser madame d’Albémar, à moins que vous ne me prouviez qu’une loi de l’honneur s’y oppose. Le sacrifice que je ferais alors serait bientôt suivi de celui de ma vie : l’honneur peut l’exiger, mais vous, ma mère, seriez-vous heureuse à ce prix ?

LETTRE XXXII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Bellerive, ce 6 juillet.

Ma chère sœur, j’étais sans doute avertie par un pressentiment du ciel, lorsque j’éprouvais un si grand effroi de la journée d’hier. Oh ! de quel événement ma fatale complaisance est la première cause ! J’éprouve autant de remords que si j’étais coupable, et je n’échappe à ces réflexions que par une douleur plus vive encore, par le spectacle du désespoir de Thérèse. Et Léonce ! Léonce ! juste ciel ! quelle impression recevra-t-il de mon imprudente conduite ? Ma Louise, je me dis à chaque instant que si vous aviez été près de moi, aucun de ces malheurs ne me serait arrivé. Mais la bonté, mais la pitié naturelles à mon caractère m’égarent, loin d’un guide qui saurait joindre à ces qualités une raison plus ferme que la mienne.

Hier, à deux heures après midi, M. d’Ervins alla dîner à Saint-Germain chez un de ses amis, se croyant assuré du départ de M. de Serbellane. Madame d’Ervins arriva chez moi vers cinq heures, seule, à pied, et dans un état déplorable ; et peu de temps après, M. de Serbellane vint très-secrètement pour lui dire un adieu qui sera plus long, hélas ! qu’ils ne l’imaginaient alors. Ma porte était défendue pour tout le monde, et pour M. d’Ervins en particulier ; on disait chez moi que j’étais partie pour Bellerive, et tous mes volets, fermés du côté de la cour servaient à le persuader. Je fus témoin, pendant trois heures, de la douleur la plus déchirante ; je versai beaucoup de larmes avec Thérèse, et j’étais déjà bien abattue lorsque la plus terrible épreuve tomba sur moi.

Au moment où j’avais obtenu de Thérèse et de M. de Serbellane qu’ils se séparassent, un de mes gens entra et me dit