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DEUXIÈME PARTIE.

justifier, vous vous donniez l’air coupable ! Supporterez-vous une telle douleur ? Non, l’amitié ne saurait s’arroger le droit de conseiller une action héroïque. Si vous répondez à Léonce, si vous l’instruisez de la vérité, vous ne ferez peut-être rien de vraiment mal, rien que personne surtout pût se permettre de condamner ; mais si, pour mieux assurer son repos domestique, si, pour l’éloigner plus sûrement de vous, vous vous taisez, vous aurez surpassé de beaucoup ce que l’on pourrait attendre de la vertu la plus sévère.

LETTRE XXXIV. — M. BARTON À MADAME D’ALBÉMAR.
Mondoville, 6 novembre.

J’ai été quelques jours, madame, sans pouvoir me déterminer à vous écrire ; ce que je devais vous conseiller me semblait trop pénible pour vous : cependant, je me suis résolu à vous donner la plus grande preuve de mon estime, en répondant avec une sévère franchise à la généreuse question que vous daignez me faire.

M. de Mondoville, indignement trompé sur vos sentiments, a épousé mademoiselle de Vernon ; il a repoussé le bonheur que j’espérais pour lui ; il a gâté sa vie, mais il faut au moins qu’il respecte ses devoirs ; il lui restera toujours une destinée supportable, tant qu’il n’aura pas perdu l’estime de lui-même.

Sans pouvoir deviner le secret habilement conduit dont vous avez été la victime, je n’ai jamais cru que vous fussiez capable de tromper, mais j’ai toujours refusé de m’expliquer avec Léonce sur ce sujet. J’ai reçu une lettre de lui, deux jours avant la vôtre, dans laquelle il m’apprend qu’il vous a écrit, et qu’il vous demande de lui dévoiler ce qu’il commence enfin à entrevoir, les criminelles ruses de madame de Vernon. Il se contient avec vous, me dit-il ; mais il s’exprime, dans sa confiance en moi, avec une telle fureur, que je frémis du parti qu’il prendra, quand il saura la conduite de madame de Vernon envers lui.

Il est résolu d’abord de défendre à madame de Mondoville de voir sa mère, et, si elle lui désobéit, il veut se séparer d’elle. Il forme encore mille autres projets extravagants de vengeance contre madame de Vernon. Je ne doute pas qu’il ne renonce à ce qui serait indigne de lui ; mais, tel que je