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DEUXIÈME PARTIE.

faire du mal. Hélas ! elle apprendra bientôt à quel point je l’ai craint.

Mes plaintes contre elle, quand je m’en permets, ont toutes un caractère de sensibilité romanesque qui, vous le savez, n’associera pas les salons de Paris à mon ressentiment. Je ne suis pas indifférente au blâme de la société, mais je ne ferai, pour m’y soustraire, que ce que je ferais pour la satisfaction de ma conscience ; la vérité doit nous valoir le suffrage des autres, ou nous apprendre à nous en passer. Je mettrais peut-être plus de prix à l’opinion si j’étais unie à la destinée d’un homme qui me fût cher ; mais, condamnée à vivre seule, à supporter seule mon sort, je n’ai point d’intérêt à me défendre : qui jouirait de mon triomphe, si je le remportais ? et n’est-il pas assez sage de ne point lutter contre la méchanceté des hommes quand l’on n’a d’autre bien à espérer de ses efforts que quelques douleurs de moins ! Cette indifférence sur ce qu’on peut dire de moi m’est beaucoup plus facile maintenant que je suis résolue à quitter Paris. Je vais m’enfermer pour toujours dans la retraite où vit ma belle-sœur ; j’y emporterai le souvenir le plus tendre de vos bontés, et le regret de n’en avoir pas joui plus longtemps.

LETTRE XXXVIII. — RÉPONSE DE MADAME D’ARTENAS À DELPHINE.
Fontainebleau, 19 novembre.

Vous prenez beaucoup trop vivement, ma chère Delphine, les peines passagères de la vie. Que de candeur, de noblesse et de bonté dans votre lettre ! mais que vous êtes encore jeune ! Je ne me souviens pas, en vérité, d’avoir eu cette bonne foi dans mon enfance, et je ne suis pourtant, Dieu merci ! ni méchante ni fausse ; mais j’ai vécu au milieu du monde, et je suis détrompée du plaisir d’être dupe. Quoi qu’il en soit, je ne veux pas exiger de vous ce qui serait trop opposé à votre caractère, et nous atteindrons au même but par une conduite négative. Dans la société de Paris, ce qu’on ne fait pas vaut presque toujours autant que ce qu’on pourrait faire. Vous ne passerez point votre vie dans le Languedoc, mais vous y resterez six mois ; pendant ce temps tout sera oublié. On vous a accueillie avec transport à votre arrivée à Paris, c’est à présent le tour de l’envie ; quand vous