le jour, quoiqu’on lui eût interdit cette occupation ; elle a mis en ordre ses affaires : venez, vous la trouverez plus touchante que jamais elle ne l’a été ; mais jusqu’à présent je n’ai pu encore lui faire entendre qu’elle est assez dangereusement malade pour se confesser. Les médecins disent que l’effrayer sur son état pourrait lui faire mal ; mais qui, juste ciel ! oserait prendre sur soi de ménager son corps aux dépens de son âme ? Je vous en avertis, je lui parlerai si vous ne vous en chargez pas. — Attendez, de grâce, répondis-je à madame de Mondoville, que je me sois entretenue avec madame votre mère. »
Mathilde me conduisit enfin chez la pauvre malade ; la chambre était obscure : à travers le jour sombre qui l’éclairait, j’aperçus madame de Vernon couchée sur un canapé, les cheveux détachés, vêtue de blanc et d’une pâleur effrayante. Elle vit l’émotion que j’éprouvais : « Remettez-vous, ma chère Delphine, dit-elle ; c’est bon à vous d’être si troublée. » Je pris sa main et je la baisai tendrement ; elle me fit signe de m’asseoir, et m’adressa d’abord des questions indifférentes sur mon voyage, sur le lieu où le courrier m’avait rencontrée, sur la santé de madame d’Artenas, etc. Je répondis à tout par des monosyllabes, n’osant commencer moi-même à lui parler de son état, et souffrant cruellement néanmoins de prendre part à des conversations si étrangères au sentiment qui m’occupait. Sa fille se leva et nous laissa seules : je crus qu’elle allait me parler avec confiance ; mais, continuant à l’éviter, elle me raconta son accident, les suites qu’il devait avoir, la certitude qu’elle avait de mourir dans trois ou quatre jours, avec une simplicité et un calme tout à fait semblables à sa manière habituelle, à cette manière qui lui donnait toujours, soit dans le sérieux, soit dans la plaisanterie, de la grâce et de la dignité.
Elle prit son mouchoir en me parlant, l’approcha de sa bouche, et le reposa, sans s’interrompre, sur la table ; je le vis plein de sang, je tressaillis ; et, penchant ma tête sur sa main, je fondis en larmes, en l’appelant plusieurs fois du nom que j’aimais à lui donner, Sophie, ma chère Sophie ! « Généreuse Delphine, me dit-elle, vous m’aimez encore ; ah ! cela vaut mieux que vivre ! Je vous ai écrit, ajouta-t-elle, afin d’éviter une conversation trop pénible pour nous deux : ma lettre contient tout ce que je pourrai dire ; je n’ai pas prétendu me justifier, mais vous expliquer ma conduite par mon caractère et ma manière de voir. Vous ne trouverez pas peut-être mes sentiments meilleurs après cette explication, mais vous comprendrez comment ils sont dans la nature ; et si je vous montre les causes des plus