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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/249

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DELPHINE.

et que j’ai cru par conséquent qu’il ne me cachait rien. Une fois, malgré ma prudence accoutumée, je lui répondis une lettre un peu vive[1] : elle l’a blessé. L’un des inconvénients de l’habitude de la dissimulation, c’est qu’une seule faute peut détruire tout le fruit des plus grands efforts : le caractère naturel porte en lui-même de quoi réparer ses torts ; le caractère qu’on s’est fait peut se soutenir, mais non se relever. Je vous sus mauvais gré de vouloir enlever Léonce à ma fille, après que nous étions convenues ensemble de ce mariage. Si je vous avais parlé franchement, vous vous seriez sans doute justifiée ; mais j’ai une aversion particulière pour les explications : décidée à ne pas faire connaître en entier ce que je pense, je déteste les moments que l’on destine à se tout dire ; je conservai donc mon ressentiment contre vous, et il devint plus amer, étant contenu.

Le jour de la mort de M. d’Ervins, au moment même du dénoûment de cette funeste histoire, lorsque j’avais tout préparé pour m’opposer à votre mariage, vous m’avez montré tant de confiance, que je fus prête à vous avouer ce qui se passait en moi ; mais ce mouvement était si contraire à ma nature et à mes habitudes, que j’éprouvais dans tout mon être comme une sorte de raideur qui s’y opposait. Mille hasards se réunirent pour aider à mes desseins : une lettre de la mère de Léonce, qui s’opposait de la manière la plus solennelle à son mariage avec vous, arriva la veille même du jour où je devais lui parler ; le public était convaincu que c’était l’amour de M. de Serbellane pour vous qui l’avait si vivement irrité contre un mot blessant que vous avait dit M. d’Ervins. Ce que vous écriviez à Léonce était assez vague pour s’accorder avec ce qu’on pouvait insinuer ou taire ; les soins que vous preniez pour sauver la réputation de madame d’Ervins vous compromettaient nécessairement dans l’opinion ; je me vis environnée de ces facilités funestes, qui achèvent d’entraîner dans le combat de l’intérêt avec l’honnêteté.

J’hésitais encore cependant, je vous le jure, et deux fois j’ai demandé mes chevaux pour aller à Bellerive ; mais enfin ma fille, dans une conversation que nous eûmes ensemble le matin même du retour de Léonce, me dit qu’elle l’aimait, et que le bonheur de sa vie était attaché à l’épouser. Alors je fus décidée : je me dis qu’en donnant à Mathilde l’espérance d’être la femme de Léonce, en lui faisant voir tous les jours un jeune

  1. Cette lettre ne s’est pas trouvée.