ger, à quelque heure que ce puisse être, que dans le même instant Delphine, votre pauvre amie, accablée de ses peines, implore le ciel pour les supporter, le ciel qui jusqu’alors l’avait toujours secourue, et qu’elle implore maintenant en vain ; si cette idée tout à la fois cruelle et douce vous fait du bien, ah ! vous pouvez vous y livrer ! Mais que font nos douleurs à nos devoirs ? La vertu, que nous adorions dans nos jours de prospérité, n’est-elle pas restée la même ? doit-elle avoir moins d’empire sur nous, parce que l’instant d’accomplir ce que nous admirions est arrivé ?
Le sort n’a pas voulu que les plus pures jouissances de la morale et du sentiment nous fussent accordées. Peut-être, mon ami, la Providence nous a-t-elle jugés dignes de ce qu’il y a de plus noble au monde, le sacrifice de l’amour à la vertu. Peut-être… hélas ! j’ai besoin, pour me soutenir, de ranimer en moi tout ce qui peut exalter mon enthousiasme, et je sens avec douleur que pour toi, pour toi seul, ô Léonce ! j’éprouve ces élans de l’âme que m’inspirait jadis le culte généreux de la vertu-Ce qui dépend encore de nous, c’est de commander à nos actions ; notre bonheur n’est plus en notre puissance, remettons-en le soin au ciel ; après beaucoup d’efforts, il nous donnera du moins le calme, oui, le calme à la fin ! Quel avenir ! de longues douleurs, et le repos des morts pour unique espoir ! N’importe, il faut, Léonce, il faut ou désavouer les nobles principes dont nous étions si fiers, ou nous immoler nous-mêmes à ce qu’ils exigent de nous.
Vous apercevrez aisément dans cette lettre à quels combats je suis livrée. Si vous en concevez plus d’espoir, vous vous tromperez. Je sais que les devoirs que j’aimais n’ont plus de charmes à mes yeux, que l’amour a décoloré tous les autres sentiments de ma vie, quand j’ai besoin de lutter à chaque instant contre les affections de mon cœur, qui m’entraînent toutes vers vous ; je le sais, je consens à vous l’apprendre, mais c’est parce que je suis résolue à ne plus vous voir. Vous dirais-je le secret de ma faiblesse, si, déterminée au plus grand, au plus cruel, au plus courageux des sacrifices, je ne me croyais pas dispensée de tout autre effort ?
Je suivrai le projet que j’avais formé avant mon retour d’Espagne : qu’y a-t-il de changé depuis ce retour ? Je vous ai vu, et voilà ce qui me persuade que de nouveaux obstacles s’opposent à mon départ. Le plus grand des dangers, c’est de vous voir ; c’est contre ce seul péril, ce seul bonheur qu’il faut s’armer. Ne vous irritez pas de cette détermination ; songez à ce