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DELPHINE.

amour, et décidez de ma vie sous tous les autres rapports ; je me mets, avec fierté comme avec joie, dans la dépendance absolue de votre volonté. »

Louise, avec quelle passion, avec quels transports Léonce me remercia ! Votre heureuse Delphine entendit pendant trois heures le langage le plus éloquent de l’amour le plus tendre. Léonce n’eut pas un instant, j’en suis sûre, l’idée de se permettre une expression, un regard qui pût me déplaire. Que le cœur est bon, qu’il est pur, qu’il est enthousiaste, alors qu’il est heureux !

Je trouvai, en arrivant chez moi, la dernière lettre que Léonce m’avait écrite, et que je n’avais point reçue : il me sembla qu’elle eût suffi pour m’entraîner ; mais qu’il était doux de la lire ensemble ! Les expressions de la douleur de Léonce me faisaient jouir encore plus de son bonheur actuel, et je me plaisais à lui faire répéter les prières qu’il m’avait adressées, pour m’en laisser toucher une seconde fois. Mais enfin je m’aperçus qu’il était trois heures du matin ; au premier mot que je dis à Léonce, il obéit et me quitta pour retourner chez lui.

J’avais perdu le repos depuis plusieurs mois ; j’ai dormi profondément le reste de cette nuit. Quand je me suis réveillé, un beau soleil d’hiver éclairait ma chambre ; il avait ses rayons de fête et condescendait à mon bonheur. Je priai Dieu longtemps, je n’avais rien dans l’âme que je craignisse de lui confier ; après avoir prié, je vous ai écrit. Ma sœur, je l’espère, vous ne me condamnerez pas ; nous avons toujours eu tant de rapports dans notre manière de penser et de sentir ! comment se pourrait-il que je fusse contente de moi, et que vous trouvassiez ma conduite condamnable ! Cependant, Louise, hâtez-vous de me répondre. Adieu.

LETTRE IX. LÉONCE — À DELPHINE.

Mon amie, quoi qu’il puisse nous arriver, remercions le ciel de nous avoir donné la vie. Arrête ta pensée sur ce jour qui vient de s’écouler ; il a fait une trace lumineuse dans le cours de nos années, et nous tournerons nos regards vers lui, quelque avenir que le sort nous destine.

Dès mon enfance, un pressentiment assez vif, assez habituel, m’a persuadé que je périrais d’une mort violente : ce matin, cette idée m’est revenue à travers les délices de mes sentiments, mais elle avait pris un caractère nouveau ; je n’étais plus ef-