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DELPHINE.

Oubliez donc, ma chère Mathilde, les petites altercations que nous avons eues quelquefois ensemble, et réunissons nos cœurs par les affections qui nous sont communes, par l’attachement que nous ressentons toutes les deux pour votre aimable mère.

Delphine d’Albémar.
LETTRE II. — RÉPONSE DE MATHILDE DE VERNON
À MADAME D’ALBÉMAR.
Paris, ce 14 avril 1790.

Puisque vous croyez, ma chère cousine, qu’il est de votre délicatesse de faire jouir les parents de M. d’Albémar d’une partie de la fortune qu’il vous a laissée, je consens, avec l’autorisation de ma mère, à la donation que vous me proposez, et je considère avec raison cette conduite de votre part comme satisfaisant à beaucoup plus que l’équité, et vous donnant des droits à ma reconnaissance ; je m’engage donc à tout ce que la religion et la vertu exigent d’une personne qui a contracté, de son libre aveu, l’obligation qui me lie à vous.

Ma mère désire que le service que vous me rendez reste secret entre nous ; elle croit que la fierté de madame de Mondoville pourrait être blessée en apprenant que c’est par un bienfait que sa belle-fille est dotée. Je vous dis ce que pense ma mère, mais je serai toujours prête à publier ce que vous faites pour moi si vous le désirez ; dût la publicité de vos bienfaits m’humilier selon l’opinion du monde, elle me relèverait à mes propres yeux : tel est l’esprit de la religion sainte que je professe.

Je sais que ce langage vous a paru quelquefois ridicule, et que, malgré la douceur de votre caractère, douceur à laquelle je rends justice, vous n’avez pu me cacher que vous ne partagiez pas mes opinions sur tout ce qui tient à l’observance de la religion catholique. Je m’en afflige pour vous, ma chère cousine, et plus vous resserrez par votre excellente conduite les liens qui nous attachent l’une à l’autre, plus je voudrais qu’il me fût possible de vous convaincre que vous prenez une mauvaise route, soit pour votre bonheur intérieur, soit pour votre considération dans le monde.

Vos opinions en tout genre sont singulièrement indépendantes : vous vous croyez, et avec raison, un esprit très-remarquable ; cependant, qu’est-ce que cet esprit, ma cousine, pour diriger sagement, non-seulement les hommes en général, mais les femmes en particulier ? Vous êtes charmante, on vous le ré-