de jouissances que j’en éprouve en abaissant mon caractère devant celui de Léonce. Qui pourrait mesurer tout ce qu’il est déjà, et tout ce qu’il peut devenir ? Par delà les perfections que j’admire, j’en soupçonne de nouvelles qui me sont inconnues ; et lorsqu’il se sert des expressions les plus ardentes, quelque chose de contenu dans son accent, de voilé dans ses regards, me persuade qu’il garde en lui-même des sentiments plus profonds encore que ceux qu’il consent à m’exprimer. Léonce exerce sur moi la toute-puissance que lui donnent à la fois son esprit, son caractère et son amour. Il me semble que je suis née pour lui obéir autant que pour l’adorer : seule, je me reproche la passion qu’il m’inspire ; mais, en sa présence, le mouvement involontaire de mon âme est de me croire coupable quand j’ai pu le rendre malheureux. Il me semble que son visage, que sa voix, que ses paroles portent l’empreinte de la vertu même et m’en dictent les lois. Ces récompenses célestes qu’on éprouve au fond de son cœur quand on se livre à quelque généreux dessein, je crois les goûter quand il me parle ; et lorsque, dans un noble transport, il me dit qu’il faut immoler sa vie à l’amour, je rougirais de moi-même si je ne partageais pas son enthousiasme.
Ne craignez pas cependant que son empire sur moi me rende criminelle ; le même sentiment qui me soumet à ses volontés me défend contre la honte. Léonce commande à mon sort, parce que j’admire son caractère, parce qu’il réunit toutes les vertus que vous m’avez appris à chérir ; je ne puis le quitter s’il ne consent pas lui-même à ce sacrifice ; mais lorsque, oubliant la différence de nos devoirs, il veut me faire manquer aux miens, je m’arme contre lui de ses qualités mêmes, et, certaine qu’il ne sacrifierait pas son honneur à l’amour, le désir de l’égaler m’inspire le courage de lui résister. Ah ! Louise, c’est bien peu sans doute que de conserver une dernière vertu, quand on a déjà bravé tant d’égards, tant de devoirs, qui me paraissaient jadis aussi sacrés que ceux que je respecte encore ; mais ne gardez pas sur ma situation ce silence cruel ! ne croyez pas qu’il ne soit plus temps de me donner des conseils, que je n’en puisse recevoir aucun ! une fois peut-être je les suivrai ; je n’en sais rien ; mais aimez-moi toujours.
Hélas ! notre situation peut à chaque instant être bouleversée. Je partirais si Mathilde, découvrant nos sentiments, désirait que je m’éloignasse ; je partirais si Léonce cessait un seul jour de me respecter, ou si l’opinion me poursuivait au point de le rendre malheureux lui-même. Ah ! de combien de manières