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QUATRIÈME PARTIE.

diocre veulent se débarrasser d’une reconnaissance importune envers un esprit supérieur, ils se choisissent quelques devoirs bien faciles auprès d’une personne bien commune, et présentent avec ostentation cet exemple de leur moralité, pour se dispenser de toute autre. Madame d’Albémar est trop distinguée pour pouvoir compter sur la bienveillance durable de ceux qui ne sont pas dignes de l’aimer et de l’admirer ; et c’est par l’autorité d’une situation qui en impose, bien plus que par ses qualités aimables, qu’elle peut désarmer la haine. Je la vois maintenant entourée de périls, menacée des chagrins les plus cruels, si elle n’en est préservée par un défenseur que la morale et la société puissent reconnaître pour tel.

Tous ceux qui, éblouis de ses charmes, n’examinent point sa situation avec la sollicitude de l’amitié, croiront peut être qu’elle est faite pour triompher de tout. Le triomphe serait possible, mais il lui coûterait tant de peines, que son bonheur du moins en serait pour toujours altéré : je ne sais même si elle peut à elle seule aujourd’hui effacer entièrement le mal que ses ennemis viennent de lui faire. Mais c’en est assez, je ne dois point insister sur vos peines avant de savoir si vous consentirez à ce que je propose pour les faire cesser. Vous connaissez mes opinions, monsieur, je m’en honore, et j’ai supporté, sinon avec plaisir, du moins avec orgueil, les peines qu’elles m’attirent. Ce sont ces opinions qui m’ont suggéré le conseil que j’ai donné à madame d’Albémar ; ce conseil est le seul qui puisse vous sauver des malheurs que vous éprouvez et que vous devez craindre. Je crois digne de vous d’y accéder ; et vous savez, je l’espère, de quelle estime et de quelle considération je suis pénétré pour vos lumières et pour vos vertus.

LETTRE XVII. — M. DE LEBENSEI À DELPHINE.
Cernay, ce 2 septembre 1791.

Celui que vous aimez est toujours digne de vous, madame, mais son sentiment ni le vôtre ne peuvent rien contre la fatalité de votre situation. Il ne reste qu’un moyen de rétablir votre réputation et de retrouver le bonheur : rassemblez pour m’entendre toutes les forces de votre sensibilité et de votre raison. Léonce n’est point irrévocablement lié à Mathilde, Léonce peut encore être votre époux ; le divorce doit être décrété dans un mois par l’Assemblée constituante ; j’en ai vu la loi, j’en suis