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QUATRIÈME PARTIE.

certitude de l’avenir, n’est-ce donc pas assez pour traverser ce temps d’orage ! Ne donnez pas à l’envie et à la méchanceté le spectacle qui leur est le plus agréable, celui d’une âme élevée abattue sous leurs coups ; redoublez plutôt leur fureur jalouse, en leur montrant que vous êtes calme et que vous savez être heureuse. Dieu ! si quelque puissance sur la terre pouvait m’accorder tout à coup vos souvenirs et vos espérances ; si j’en pouvais jouir un an, je donnerais pour cette année tout le temps qui me reste à vivre. Ah ! madame, ah ! Delphine, qui n’a pas été coupable, croyez-moi, n’a point souffert !

Je ne pourrais relire cette lettre sans éprouver un embarras difficile à supporter ; je me confie donc sans nouvelles réflexions au sentiment qui l’a dictée, et je vous l’envoie sans me laisser un moment de plus pour hésiter.

LETTRE XXXI. — DELPHINE À MADEMOISELLE DE R.

Quand on est capable d’écrire la lettre que je viens de recevoir, il est impossible que les sentiments les plus vertueux et les plus purs ne finissent pas par triompher de toutes les faiblesses. Un mouvement si généreux m’a fait du bien, et j’ai retrouvé le plaisir d’estimer, que l’amertume et la défiance m’avaient fait perdre : ce soulagement est tout ce que ma situation peut permettre. Je n’ai plus rien à démêler avec le monde ; mais je n’oublierai jamais le sentiment plein de délicatesse qui vous a portée, madame, à vouloir me consoler, aux dépens des considérations personnelles qui auraient arrêté toute autre femme.

LETTRE XXXII. — LÉONCE À DELPHINE.

Depuis quatre jours, vous vous êtes inflexiblement refusée à me voir. On m’a dit à Paris que vous étiez à Bellerive, à Bellerive que vous étiez à Paris ; on a trompé votre ami à votre porte comme un étranger : Delphine, jamais vous n’avez été plus injuste, car jamais ma passion pour vous n’a exercé sur moi plus d’empire ! je crois qu’elle a changé jusqu’à mon caractère. Daignez m’entendre, vous jugerez mieux que moi-même de ce cœur qui, se confiant tout entier à vous, attend votre approbation pour s’estimer encore.

Sans doute, le jour de cette affreuse scène, quand je vous re-