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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/464

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QUATRIÈME PARTIE.

LETTRE XXXIV. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 2 décembre.

J’étais retombée, mon amie, dans les incertitudes les plus douloureuses ; la tendresse que Léonce me témoignait, le charme inexprimable de sa présence, me captivaient plus que jamais ; et sans que je me l’avouasse encore, je ne pouvais me résoudre à mon départ.

Avant-hier j’appris que Mathilde était malade, et Léonce lui-même me parut inquiet de son état. Je fus douloureusement affligée de cette nouvelle ; je craignis d’en être la cause, et je passai la nuit tout entière dans les combats les plus cruels, voulant me tromper sur mon devoir, espérant, quand je croyais tenir un raisonnement qui m’affranchissait, et retombant l’instant d’après, lorsqu’une inspiration soudaine de la conscience renversait tout ce qui me semblait le plus précieux.

Agitée par une insomnie si douloureuse, je me levai hier à huit heures du matin, et je descendis de mon jardin dans les Champs-Elysées, pour essayer si l’exercice et le grand air me feraient du bien ; je passai devant la maison qu’occupait autrefois madame de Vernon : vous savez qu’elle s’est fait ensevelir dans son jardin, et que sa fille, mécontente de cette volonté qu’elle ne trouve pas assez religieuse, a conservé la maison sans vouloir l’occuper. Je me reprochais de n’avoir pas été verser quelques pleurs sur ses cendres délaissées ; je me rappelai que ce jour même était l’anniversaire de sa mort. La clef de mon jardin ouvrait aussi celui de madame de Vernon, nous l’avions ainsi voulu dans les jours de notre liaison ; j’essayai donc d’entrer par les Champs-Elysées. J’eus d’abord de la peine à ouvrir cette porte fermée depuis un an ; enfin j’y réussis, et je me trouvai dans ce jardin, où, pour la première fois, Léonce m’avait parlé de son amour, quand la plus belle saison de l’année couvrait tous les arbustes de fleurs : il ne restait pas une feuille sur aucun d’eux ; cette maison, jadis si brillante, était fermée comme une habitation qu’on avait abandonnée. Un brouillard froid et sombre obscurcissait tous les objets, et mes souvenirs se retraçaient à moi à travers la tristesse de la nature et de mon cœur.

Ah ! le passé, le passé ! quels liens de douleur nous attachent à lui ! Pourquoi les jours ne s’écoulent-ils pas sans lais-