Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
584
DELPHINE.

pour être fusillé. Juste ciel ! si vous saviez quel mépris de la vie, quel héroïsme d’amitié il a montré ! » Delphine, entendant ces paroles, ne douta presque plus de son malheur : couverte d’un voile qui empêchait de remarquer son éclatante figure, elle s’avança dans la chambre, et tendant les bras vers M. de Ternan, elle s’écria : « Cet homme généreux, intrépide, infortuné, c’est donc Léonce de Mondoville ? — Oui, répondit M. de Ternan en retournant la tête ; qui l’a deviné ? — Moi, » répondit Delphine en perdant connaissance. On courut à son secours, on détacha son voile, et ses cheveux tombèrent sur son visage, comme pour le couvrir encore. M. de Serbellane, en arrivant, la vit entourée d’hommes qui croyaient presque qu’il y avait quelque chose de surnaturel dans cette apparition d’une femme inconnue, si belle et si touchante.

Il avait appris, de son côté, ce que Delphine venait de decouvrir. Quand elle revint à elle, saisissant les mains de M. de Serbellane avec une force convulsive, elle lui dit : « Vous viendrez avec moi, nous irons à son aide ; votre pays n’est point en guerre avec les Français ; ils vous écouteront, je les implorerai : n’y a-t-il pas des accents de douleur auxquels nul homme n’a résisté ? Partons. »

M. de Serbellane n’hésita pas : il avait déjà formé le dessein d’aller à Chaumont, et portait avec lui les passe-ports nécessaires pour s’y rendre ; il comprit qu’il était impossible de détourner Delphine de le suivre, et ne voulut pas même le lui proposer. Son caractère était aussi calme que celui de Delphine était passionné ; mais quand les grandes affections de l’âme sont compromises, tous les êtres généreux s’entendent et suivent la même conduite.

Ils partirent ensemble, et furent à Chaumont en moins de dix heures. Peu de moments avant d’arriver, Delphine, se ressouvenant que M. de Serbellane lui avait dit autrefois qu’il existait en Italie un poison doux mais rapide, qui terminait la vie en très-peu de temps, rappela à M. de Serbellane ce poison dont ils s’étaient une fois entretenus ensemble. « Il est dans cette bague, répondit M. de Serbellane en la montrant ; je la porte toujours depuis que j’ai perdu Thérèse ; je me sentais plus calme et plus libre en pensant que si la vie me devenait insupportable, j’avais avec moi ce qui pouvait facilement m’en délivrer. » Delphine alors, quelle que fût son intention secrète et l’idée vague et terrible qui l’occupait, donna pour motif à M. de Serbellane, en lui demandant cette bague, le désir qu’aurait Léonce, fier et irritable comme il l’était, d’échapper