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CONCLUSION.

doux. « Ma Delphine, disait-il, te souviens-tu de cette maison sur le coteau de Baden, dont le site nous rappelait Bellerive ? Nous pouvons l’acquérir, nous nous y établirons ; quelques légers changements la rendront tout à fait semblable à ce séjour où nous avons passé des moments heureux, mais troublés ; tandis que dans notre habitation nouvelle une félicité parfaite nous est promise. Tu ne seras point poursuivie dans un pays protestant ; je suis sûr d’ailleurs d’en imposer à madame de Ternan, et, notre destinée obscure n’excitant l’envie de personne, nous n’aurons point d’ennemis. Oh ! que cet avenir se présente à moi sous un aspect enchanteur ! Delphine, ma céleste amie, ajoute donc quelques traits à ce tableau, peins-moi le sort qui nous attend, que l’espérance nous y transporte. » Delphine ne répondait point, son âme agitée n’avait point retrouvé le calme. « Craindrais-tu, lui dit encore Léonce, de retrouver en moi quelques traces des faiblesses qui nous ont séparés ? me ferais tu cette offense ? — Non, non ! interrompit Delphine. — Même avant ton arrivée, continua Léonce, ton souvenir et mon amour avaient entièrement dissipé les erreurs de mon caractère ; je te l’avouerai, certain de périr, la mort que j’avais désirée ne m’inspirait plus qu’un sentiment assez sombre : il me semblait que la nature m’accusait d’avoir méconnu ses bienfaits ; et, mon imagination se retournant tout à coup, je n’ai plus vu, prêt à perdre l’existence, que les affections délicieuses qui devaient me la rendre chère. Ah ! j’avais peut-être besoin de cette épreuve, mais je n’en perdrai jamais le fruit ; je vivrai pour être heureux, pour être aimé… — Hélas ! reprit Delphine, le temps se passe, le geôlier ne revient point. » Cette inquiétude augmentant son trouble à chaque minute, elle n’entendait pas ce que Léonce lui disait pour la calmer ; et, s’approchant des barreaux de la prison, à travers lesquels on entrevoyait la rue, elle y resta fixement attachée. Tout à coup elle s’écria : « Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu ! » d’une voix si déchirante, que Léonce en frémit ; et, courant à elle, il lui dit : « Qu’avez-vous ? votre accent me cause un effroi que de ma vie je n’avais éprouvé. — Que viennent faire, lui dit Delphine, ces deux hommes vêtus de noir qui accompagnent le geôlier ? — Apporter l’ordre pour mon départ, lui répondit Léonce. — Non, non, reprit Delphine, cela n’est pas naturel, cela ne l’est pas. » La porte de la prison s’ouvrit ; et les deux hommes, peu d’instants après être entrés, déclarèrent que le commissaire de Paris était arrivé, qu’il avait déchiré l’ordre donné par le juge, et qu’il était décidé que M. de Mondoville