Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
595
CONCLUSION.

encore leur donner du charme. » Léonce lui obéit ; il sentait que, sur un pareil sujet, il ne pouvait rien obtenir d’elle ; mais il se flattait que M. de Serbellane veillerait sur le sort de son amie, quand il n’existerait plus, et c’était à lui qu’il se proposait de la confier.

Léonce et Delphine gardèrent donc le silence, l’un à côté de l’autre, pendant assez longtemps. Ils attendaient M. de Serbellane, quoiqu’ils n’en espérassent rien ; enfin il arriva, portant sur son visage l’empreinte des sentiments qui le déchiraient.

« Demain, à huit heures du matin, dit-il à Léonce, vous devez être conduit dans une plaine, à une demi-lieue de la ville, pour être fusillé ; un espoir cependant reste encore : le juge généreux de qui madame d’Albémar avait obtenu votre liberté vient de sortir du tribunal même pour me parler ; il m’a dit que si je pouvais lui apporter à l’instant une déclaration signée de vous, qui attestât positivement que vous n’avez point eu l’intention de porter les armes, et que vous traversiez l’armée en voyageur pour revenir en France, cette déclaration pourrait vous sauver. » Delphine, à ce mot, leva les yeux qu’elle avait tenus fixés sur la terre jusqu’alors ; Léonce répondit à M. de Serbellane, avec la plus noble simplicité : « Quand j’ai été fait prisonnier, j’en conviens, je n’avais point encore porté les armes ; j’étais venu à Verdun, non pour seconder aucune cause, mais dans l’espoir de mourir : qu’importent toutefois ces détails connus de moi seul ? Les Français qui sont dans l’armée des étrangers ont dû croire que je venais pour servir avec eux : une déclaration contraire leur paraîtrait un mensonge que je ferais pour sauver ma vie ; mon intention d’ailleurs n’était point de rentrer en France ; je ne puis donc, sans m’avilir, attester ce qui paraîtrait faux aux yeux des autres, ou ce qui le serait réellement. » Delphine, en entendant ce refus décisif, baissa de nouveau les yeux, sans prononcer une parole ; elle savait que Léonce n’appellerait jamais d’une résolution qu’il croyait honorable.

M. de Mondoville, touché de la douleur que lui témoignait M. de Serbellane, lui prit la main et lui dit : « Généreux ami, vous avez tout fait pour nous ; il ne me reste plus, relativement à moi, qu’un service à vous demander. Si mon nom était calomnié quand j’aurai cessé de vivre, donnez à la vérité l’appui de votre respectable caractère ; n’oubliez pas que la mémoire d’un homme qui fut passionné pour l’honneur est un dépôt qu’il confie aux soins scrupuleux de ses amis. — J’accepte avec reconnaissance ce glorieux dépôt, répondit M. de Serbellane ;