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DELPHINE.

cette compassion véritable qui t’inspirerait ces douces paroles : Delphine, suis-moi ; pauvre Delphine, n’essaye pas de la vie sans la main qui te conduisait. Ô Léonce, Léonce ! répète ces mots consolateurs, je t’en conjure…» Les pleurs interrompaient les prières passionnées de Delphine ; elle embrassait les genoux de Léonce ; elle voulait obtenir de lui-même le conseil de mourir ; il cherchait en vain à la calmer, et la conjurait de s’éloigner avec M. de Serbellane avant l’heure du supplice. Delphine, pensant alors à la fatale bague, voulut en parler à Léonce, mais sans lui confier d’abord qu’elle la possédait, de peur qu’il ne la lui ôtât, quand même il serait résolu à n’en pas faire usage.

« Léonce, lui dit-elle, cette mort, semblable à celle que subirait un criminel, ce supplice, en présence d’un peuple furieux, ne révolte-t-il point ton âme ? veux-tu te l’épargner ? Notre ami, M. de Serbellane, peut nous donner un poison salutaire qui nous affranchirait du sort qu’on nous prépare. » Léonce, étonné, réfléchit quelques instants, puis il dit : « Mon amie, je crois plus digne de moi de périr aux yeux des Français ; ils me condamnent aujourd’hui, mais peut-être sauront-ils une fois que je ne l’ai pas mérité ; et si, dans mes derniers moments, j’ai montré quelque force d’âme, je ne hais pas, je l’avoue, l’espoir que mes ennemis mêmes ne me verront pas tomber sans émotion. Pardonne, mon amie, si cette pensée me force à rejeter le secours inespéré que tu daignes m’offrir ; ta main aurait fermé mes yeux, et le même sentiment qui anima mon existence l’eût conduite doucement jusqu’à sa fin : ah ! qu’il m’en coûte pour m’y refuser ! » Delphine garda le silence ; elle craignait, en insistant, de faire connaître à Léonce qu’elle possédait un moyen sûr de ne pas lui survivre.

« Hélas ! continua Léonce, il y a, j’en conviens, quelque chose de sombre dans cette prison qui précède le dernier jour ! Je voudrais pouvoir regarder le ciel avec toi ; ce sont ces murs qui nous dérobent son aspect ; c’est la barbarie des hommes, nos gardiens et nos juges, qui donne à la mort un caractère si terrible. Vingt fois je l’avais désirée à tes pieds ; mais à présent que j’avais abjuré mes misérables erreurs, à présent que je pouvais être ton époux, ton heureux époux… ; ah Dieu ! » Il s’arrêta, craignant de rappeler des pensées trop amères. Delphine, succombant au désespoir, n’avait plus la force d’exprimer les tourments qu’elle souffrait : quelques heures se passèrent encore, pendant lesquelles Léonce se montra le plus sensible et le plus courageux des hommes. Delphine l’admira quelquefois, plus sou-