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DELPHINE.

attachement véritable ? Ne pensez pas cependant, ma chère Louise, autant de mal de moi que ce récit le mérite : n’avez-vous pas éprouvé vous-même qu’il existe quelquefois en nous des mouvements passagers les plus contraires à notre nature ? C’est pour expliquer ces contradictions du cœur humain qu’on s’est servi de cette expression : Ce sont des pensées du démon. Les bons sentiments prennent leur source au fond de notre cœur ; les mauvais nous semblent venir de quelque influence étrangère qui trouble l’ordre et l’ensemble de nos réflexions et de notre caractère. Je vous demande de fortifier mon cœur par vos conseils : la voix qui nous guida dans notre enfance se confond pour nous avec la voix du ciel.

LETTRE XIII. — RÉPONSE DE MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Montpellier, ce 14 mai.

Non, ma chère enfant, je ne vous aurais point trouvée coupable de vous livrer à quelque intérêt pour Léonce ; et s’il avait été digne de vous, s’il vous avait aimée, je n’aurais pas trop conçu pourquoi vous auriez sacrifié votre bonheur, non à la reconnaissance que vous devez, mais à celle que vous avez méritée. Quoi qu’il en soit, hélas ! il n’est plus temps de faire ces réflexions : il n’est que trop vraisemblable qu’en ce moment ce malheureux jeune homme n’existe plus pour personne ! J’ai la triste mission de-vous envoyer cette lettre. Il faut la montrer à M. Barton, et prévenir madame de Vernon et sa fille de la perte de leurs plus brillantes espérances. C’est le seul moment où j’aie éprouvé quelques bons sentiments pour madame de Vernon ; mais il n’est pas nécessaire de me joindre à tout ce que vous lui témoignerez. Celle qui est aimée de vous, ma chère Delphine, ne manque jamais des consolations les plus tendres ; et c’est vous que je plains quand vos amis sont malheureux.

Je ne doute pas que ce ne soit l’indigne frère de mademoiselle de Sorane qui doive être accusé de ce crime abominable,

Bayonne, ce 10 mai 1790.

Comme vous êtes parente de madame de Vernon, mademoiselle, vous avez sans doute son adresse à Paris, et vous ferez parvenir à un M. Barton, qui doit être chez elle à présent, la nouvelle du triste accident arrivé à son élève, qui n’a voulu