tume de nos regrets, l’effroi de la mort, la fatigue de la vie ; tout ce vague du cœur, enfin, dans lequel les âmes sensibles aiment tant à s’égarer, fut l’objet de notre entretien. Elle se plaisait à m’entendre, et, m’excitant à parler, elle mêlait des mots précis et justes à mes discours, et soutenait et ranimait mes pensées toutes les fois que j’en avais besoin. Lorsque j’arrivai chez elle, j’étais abattue et mécontente de mes sentiments sans vouloir me l’avouer. Je crois qu’elle devina tout ce qui m’occupait, car elle me dit exactement ce que j’avais besoin d’entendre. Elle me releva par degrés dans ma propre estime ; j’étais mieux avec moi-même, et je ne m’apercevais qu’à la réflexion, que c’était elle qui modifiait ainsi mes pensées les plus secrètes. Enfin j’éprouvais au fond de l’âme un grand soulagement, et je sentais bien en même temps qu’en m’éloignant de Sophie, le chagrin et l’inquiétude me ressaisiraient de nouveau.
Je m’écriai donc dans une sorte d’enthousiasme : «Ah ! mon amie, ne me, quittez pas ; passons de longues heures à causer ensemble ; je serai si mal quand vous ne me parlerez plus ! »
Comme je prononçais ces mots, un domestique entra, et dit à madame de Vernon que M. de Fierville demandait à la voir, quoiqu’on lui eût déclaré à sa porte qu’elle ne recevait personne. « Refusez-le, je vous en conjure, ma chère Sophie ! dis-je avec instance. — Savez-vous, interrompit madame de Vernon, si le neveu de madame du Marset a gagné ou perdu ce grand procès dont dépendait toute sa fortune ? — Mon Dieu ! interrompis-je, on m’a dit hier qu’il l’avait gagné ; ainsi, vous n’avez point à consoler M. de Fierville des chagrins de son amie ; refusez-le. — Il faut que je le voie, dit alors madame de Vernon. » Et elle fit signe à son domestique de le faire monter. Je me sentis blessée, je l’avoue, et ma physionomie l’exprima. Madame de Vernon s’en aperçut et me dit : « Ce n’est pas pour moi, c’est pour ma fille… — Quoi ! m’écriai-je assez vivement, vous songez déjà à remplacer Léonce ? Pauvre jeune homme ! vous n’êtes pas longtemps regretté par l’amie de votre mère. » Je me reprochai ces paroles à l’instant même, car madame de Vernon rougit en les entendant ; et comme elle me laissait partir sans essayer de me retenir, je restai quelques minutes après l’arrivée de M. de Fierville, la main appuyée sur la clef de la porte du salon, et tardant à l’ouvrir. Madame de Vernon enfin le remarqua ; elle vint à moi, et, sans me faire aucun reproche, elle insista beaucoup sur le prix qu’elle incitait à l’union de sa fille avec Léonce, sur toutes les circonstances qui lui rendaient3.