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PREMIÈRE PARTIE.

et rendez à votre esprit toute l’indépendance dont il a besoin pour bien juger.

LETTRE XVII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 25 mai.

La lettre de Léonce que vous m’envoyez, ma chère sœur, est extrêmement remarquable : comme M. Barton m’avait demandé de l’ouvrir, je l’ai lue ; depuis deux heures qu’elle est entre mes mains, elle a fait naître en moi une foule de pensées qui m’étaient nouvelles. Je vous ferai part de mes réflexions une autre, fois ; le seul mot que je sois pressée de vous dire, c’est que la lecture de cette lettre, a tout à fait calmé les idées qui me troublaient, et que je n’ai plus à craindre le mauvais mouvement qui me faisait envier le sort de ma cousine.

LETTRE XVIII[1]. — LÉONCE À M. BARTON.
Bayonne, 17 mai 1790.

Je crains, mon cher ami, que vous ne soyez déjà parti sur la nouvelle de mon accident et lorsque vous aurez su que j’avais témoigné le désir de vous voir. J’aurais dû vous épargner la fatigue d’un tel voyage ; mais vous pardonnerez à votre élève le besoin qu’il avait de vous dire adieu au moment de mourir. Si vous êtes encore à Paris, attendez-moi ; je serai en état de voyager sous peu de jours. On me défend de parler, de peur que mes blessures à la poitrine ne se rouvrent ; j’ai du temps au moins pour vous écrire tout ce qui tient à l’événement dont vous devez seul connaître le secret.

Je sais quel est le furieux qui a voulu m’assassiner et qui m’a attaqué, ayant pour second son domestique, sans me laisser aucun moyen de me défendre. Il m’a dit avec fureur en me poignardant : Je venge ma sœur déshonorée. J’aurais nommé l’auteur de cette action infâme, si les motifs qui l’ont irrité contre moi ne méritaient une sorte d’indulgence : vous les savez, ces motifs, et vous devinez mon assassin.

Mon cousin, en se soumettant à mes conseils, les a suivis néanmoins de la manière du monde la plus faible et la plus inconséquente ; il m’a prouvé qu’il ne faut jamais faire agir un homme dans un sens différent de son caractère. La nature

  1. Cette lettre est celle que mademoiselle d’Albémar à fait parvenir à Delphine.