Page:Stace, Martial - Œuvres complètes, Nisard.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

quefois à Martial le chagrin de le devancer auprès de l’empereur dans des félicitations ou flatteries officielles ? On ne sait que conjecturer à cet égard.

Après la mort de Domitien et le meurtre de Parthénius, protecteur et ami de Martial[1], celui-ci, sans crédit sous Nerva, et tout à fait négligé sous Trajan, ennuyé de Rome, et déjà appesanti par l’age, retourna dans sa patrie, où il employa à faire son douzième livre les trois années qui précédèrent sa mort. Il ne trouva pas à Bilbilis le repos qu’il avait espéré. Loin de là, « il eut, » dit Rollin dans ses remarques sur ce poëte[2], « le temps de s’y ennuyer, n’y trouvant nulle compagnie sortable et qui eût du goût pour les lettres ; ce qui lui fit souvent regretter son séjour de Rome : car, au lieu que dans cette savante ville ses vers étaient extrêmement goûtés et applaudis, à Bilbilis ils ne faisaient qu’exciter contre lui l’envie et la médisance ; traitement qu’il est difficile de soutenir tous les jours avec patience. On peut croire que ces contrariétés hâtèrent sa fin.

« Pline, ajoute Rollin, en l’honneur duquel il avait fait une épigramme (liv. x, 19), lui donna une somme d’argent lorsqu’il se retira de Rome : car il était peu avantagé des biens de la fortune. A cette occasion, Pline remarque que c’était un ancien usage d’accorder des récompenses utiles ou honorables à ceux qui avaient écrit à la gloire des villes ou de quelques particuliers. « Aujourd’hui, dit-il, la mode en est passée, avec tant d’autres qui n’avaient pas moins de grandeur et de noblesse. Depuis que nous cessons de faire des actions louables, nous méprisons la louange. »

Dans la lettre touchante d’où Rollin a tiré cette citation, Pline le jeune donne à la mort de Martial des regrets qui font honneur à ce poëte. « J’apprends, dit-il, que Valérius Martial est mort, et j’en ai du chagrin. C’était un homme ingénieux, piquant, vif, dont les écrits ont beaucoup de sel et de mordant, et guère moins de candeur. » Et plus loin, parlant de l’argent qu’il lui avait donné pour s’en retourner à Bilbilis « N’ai-je pas eu raison de congédier avec cette marque d’amitié un homme qui avait écrit de moi ces choses ? et n’ai-je pas raison aujourd’hui de déplorer sa mort comme celle d’un homme qui m’était très-ami ? car il m’a donné le plus qu’il a pu ; et il m’eut donné davantage, s’il l’avait pu. Que dis-je ? peut-on faire à un homme un présent de plus grand prix que la gloire, la louange, une renommée éternelle ? — Mais ce qu’il a écrit ne sera pas éternel. — Peut-être toujours est-il qu’il l’a écrit comme pour durer éternellement. »

Rollin juge ainsi le poëte de Bilbilis : « Il serait à souhaiter qu’il y eût eu autant de pudeur et de modestie dans ses vers qu’il y a quelquefois de l’esprit. On lui reproche son humeur trop mordante, sa flatterie honteuse à l’égard de Domitien, jointe à la manière indigne dont il le traita après sa mort. L’amour des subtilités et l’affectation des pointes dans les discours avaient pris, dès le temps de Tibère et de Caligula, la place du bon goût qui régnait sous Auguste. Ce défaut alla toujours croissant ; et c’est ce qui fit si fort goûter Martial. Il s’en faut bien que toutes ses épigrammes soient de la même force. On leur a justement appliqué ce vers qui est de lui :

Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt mala plura.
« Le plus grand nombre sont mauvaises, mais il y en a d’excellentes »

Parmi les jugements récents qui ont été portés sur Martial, on peut consulter le morceau très-étendu que M. Nisard lui a consacré dans ses Études de mœurs et de critique sur les poëtes latins de la décadence. Une même appréciation comprend l’homme, l’auteur, et tout un côté de l’époque où a vécu Martial.


  1. Parthenius était chambellan de l’empereur Domitien. Il en avait reçu ce qu’on appelait le droit de porter le glaive ; il le tourna contre ce prince, dont il fut un des assassins.
  2. Histoire ancienne, tome xi, p. 115.