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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/162

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de lui avant qu’il eût rendu le dernier soupir ; fort heureusement, car sans cela nous aurions eu la barbarie de le laisser sans sépulture, sachant qu’il était mort[1] ».

À sept heures nous étions au camp de Nyamboua, où l’eau est excellente, et nous buvions tous en chameaux altérés. De vastes champs de grain avaient annoncé les villages et fait presser le pas à nos hommes. Lorsque nous approchâmes de l’aire populeuse, nous vîmes accourir la multitude ; et bientôt jeunes et vieux des deux sexes formèrent sur notre passage une foule compacte et hurlante. Cet excès d’humeur démonstrative fit dire à maître Shaw : « Ceux-ci doivent être les vrais Ougogiens. Quels regards ! oh ! mon Dieu ! quels regards ! C’est à les souffleter. » Le fait est que la conduite de ces gens-là était l’exagération de celle des autres Vouagogo. Jusque-là on s’était contenté de regarder et de crier ; mais ici l’audace n’avait plus de bornes.

Ma colère grandissant avec leur insolence, je pris à la gorge le plus bruyant de ces clabaudeurs, et lui administrai une volée de coups de fouet qui n’était pas faite pour lui être agréable. Ce procédé fit jaillir de la foule un torrent d’injures, exprimées d’une façon particulière. Approchant à l’instar des chats irrités, ils lançaient leurs paroles d’une voix qui tenait du sifflet et de l’aboiement ; quelque chose comme le mot hahcht ! proféré sur une note aiguë, allant crescendo. « Les Vouagogo seront-ils battus comme des esclaves par ce Mousoungou ? » criaient-ils en avançant et en reculant tour à tour. « Un Mgogo est un homme libre, hahcht ! Il n’est pas habitué à être battu ; — hahcht ! »

Mais dès que le Mousoungou levait le bras, ces rodomonts jugeaient prudent de se tenir à distance respectueuse. Voyant donc qu’un peu de fermeté suffisait pour les remettre à leur place, j’eus recours à mon fouet, dont la grande lanière claquait avec le bruit d’un pistolet. Tant qu’ils se bornaient à me regarder et à se communiquer leurs opinions sur ma couleur et sur mon costume, je me résignais philosophiquement à les divertir ; mais quand ils m’approchaient au point de me laisser à peine la place de me mouvoir, un vigoureux claquement à droite et à gauche rendait bientôt le chemin libre.

Pembira Péreh est un vieux petit bonhomme, très-petit, et qui

  1. Singulière puissance de l’éducation qui peut amener un homme, plein de cœur, à trouver moins pénible d’abandonner un mourant qu’un mort, et qui le fait se réjouir d’être absous d’un manque de formalité par la prolongation l’une agonie solitaire. (Note du traducteur.)