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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/267

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Après avoir été fustigés d’importance, mes récidivistes furent mis à la chaîne ainsi qu’ils en avaient été prévenus.

Baraka et Bombay nous firent un récit pittoresque de leur capture ; et comme j’étais de fort bonne humeur, je récompensai leurs services par deux mètres de belle étoffe, donnés à chacun d’eux.

Le lendemain matin un autre porteur avait disparu avec son fusil, et les trente mètres de colonnade qui étaient le prix de son engagement.

En outre, Abdoul-Kader, le tailleur, qui était parti de Bagamoyo avec des idées de fortune si brillantes, et qui devait faire de si grands achats d’ivoire au centre de l’Afrique, vint me trouver le matin de ce même jour en me suppliant de lui accorder son congé. Il se disait malade, incapable d’aller plus loin. On se rappelle qu’il m’avait déjà ennuyé d’une pareille supplique. Il se portait bien ; mais la route lui faisait peur. Toutefois, comme j’étais las de sa personne, je lui donnai son compte et je le laissai partir.

C’était encore une désertion. Tant que nous serions dans l’Ounanyembé il devait en être ainsi ; l’unique moyen de parer au mal était de gagner rapidement les jungles. Mais les obstacles se multipliaient. À moitié chemin de Kaségéra, Mabrak Sélim fut pris tout à coup de vomissements et de diarrhée, avec rejet d’une quantité de vers. Je lui administrai un grain de calomel et deux onces d’eau-de-vie. Il ne pouvait pas marcher ; je le fis mettre sur un âne. Zaïdé eut une attaque de rhumatisme. Shaw tomba deux fois ; et ce ne fut qu’avec des prières sans nombre et un temps énorme qu’on parvint à le faire remonter sur sa bête. On eût dit qu’un destin contraire poursuivait l’expédition, que les Parques voulaient nous faire abandonner l’entreprise ; tout semblait conspirer notre ruine. Si j’étais seulement à quinze jours de Kouihara, pensais-je, je serais sauvé ! Mais de ces quinze étapes, il en restait douze à franchir.

Kaségéra, que nous atteignîmes dans l’après-midi, était en fête. Les absents venaient d’arriver de la côte, et les jeunes pagazis brillaient du vif éclat du sohari, du barsati, du kanibi tout battants neufs, dont ils s’étaient drapés derrière quelque buisson avant d’apparaître aux yeux charmés de leurs compatriotes. Les femmes poussaient des hi-hi-hi ! des lou lou-ou-ou ! dignes des Ménades, et qui retentirent jusqu’au soir. Des sylphides contemplaient avec l’admiration la plus ardente les traits des arrivants ; les matrones entouraient ces jeunes héros qu’elles accablaient de leur tendresse ; et les vieillards, le dos courbé, appuyés sur leurs