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formation que, depuis notre départ de Bagamoyo, je n’avais plus le moyen d’être généreux ; que nous étions maintenant dans un pays où la cotonnade avait une grande valeur, que je n’en possédais que la quantité nécessaire pour défrayer mes hommes, que lui et sa bande m’avaient déjà coûté le prix de trois caravanes, ce qui était réel, et ce qui lui ferma la bouche. Mais je lui promis, en même temps, que s’il atteignait rapidement l’Ounyanyembé, il aurait lieu d’être satisfait.

Il se remit en marche le 5 avril, prenant cette fois l’avance, et m’affirmant que je ne le rejoindrais pas, quelle que fût la hâte que je pourrais déployer.

Le lendemain matin, voulant tirer mes gens de leur torpeur, je battis un joyeux rappel sur la poêle avec une cuiller de fer, et j’annonçai le départ. L’appel fut d’un excellent effet, car on y répondit avec empressement. Au lever du soleil nous étions en route ; et les gens du village se précipitaient dans le camp avec une activité de vautours pour recueillir tous les restes, haillons et débris, que nous avions pu laisser.

Quinze milles nous séparaient d’Imbiki. Cette longue marche prouva combien le séjour de Kingarou avait affaibli et démoralisé ma bande, soldats et porteurs. Quelques-uns d’entre eux seulement eurent la force de gagner la station avant la nuit. Les autres n’arrivèrent que le lendemain, et dans un état pitoyable d’esprit et de corps. Khamisi, l’homme qui se plaignait d’une faiblesse dans les reins, avait déserté emmenant deux chèvres, emportant la toile de ma tente, et la fortune personnelle d’Oulédi, composée de dix livres de perles, de plusieurs coupons de fine étoffe, et de son habit d’apparat : une longue tunique, à la mode arabe. Dans un accès de bonté, Oulédi, touché des plaintes de cet indigne, lui avait pris son fardeau, et en échange lui avait confié son avoir, beaucoup moins lourd. Une pareille action n’était pas tolérable ; il fallait saisir le voleur, au moins l’essayer. J’envoyai donc Oulédi et Férajji à sa poursuite, la bande devant séjourner à Imhiki, afin de réparer ses forces.

Nous partîmes le 8 pour Msouhoua ; une marche de dix milles, tout simplement, mais qui est restée dans notre souvenir comme l’une des plus pénibles que nous ayons jamais faites : tout entière dans une jungle, n’ayant que trois éclaircies où l’on put reprendre haleine.

Quel travail, et quel endroit ! Les miasmes, les effluves des plantes en décomposition étaient d’une âcreté si pénétrante, que je m’at-