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MES MÉMOIRES 11

camarade de M. Sheffer, qui devait être mon fiancé de quelques mois.

On se levait de bonne heure à Beaucourt. Après un déjeuner rapide et une heure de récréation dans le parc, ou consacrée à mes fleurs — comme mes parents, j’avais la passion des fleurs, surtout des hortensias et des roses — j’allais dans la salle d’école prendre mes leçons. L’après-midi était partagée entre l’étude, le jeu et les soins du ménage.

Le soir, après dîner, on faisait de la musique dans le grand salon, celui que pendant la guerre les soldats allemands avaient saccagé. Ah ! il fallait entendre mon père parler de leur séjour chez nous, de ce merveilleux salon transformé en cuisine, du piano à queue devenu garde-manger et des précieux rideaux en damas rouge ancien, qui avaient servi aux Prussiens de couvertures de cheval et de torchons !

Il y avait toujours beaucoup de monde chez nous. La maison, qui avait trois étages, comptait quarante chambres, et elles étaient plus souvent occupées que vides.

Nos concerts du soir, c’était la joie de mon père. Il s’installait à l’orgue. L’énorme et rubiconde Mme Koger, mon professeur de musique, se mettait au piano. Je prenais mon violon, et deux ou trois musiciens de Belfort, violonistes ou violoncellistes, complétaient notre petit orchestre.

L’hiver — il fait très froid dans cette partie de la France — on patinait sur le canal du Rhône au ; Rhin et l’on faisait de longues randonnées en traîneau sur les routes couvertes de neige. Et puis, on schlittait ! Un train de toboggans était formé au haut d’une colline, un capitaine en tête ; on dévalait à une vitesse vertigineuse ; les toboggans se désunissait ; on roulait dans la neige et l’on se battait ensuite parce que personne ne voulait être responsable du déraillement. Je triomphais, généralement, en ces batailles, de tous mes cousins, et n’en étais pas peu fière !