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DE L’AMOUR.

Dans l’amour-passion, l’intimité n’est pas tant le bonheur parfait que le dernier pas pour y arriver.

Mais comment peindre le bonheur, s’il ne laisse pas de souvenirs ?

Mortimer revenait tremblant d’un long voyage ; il adorait Jenny ; elle n’avait pas répondu à ses lettres. En arrivant à Londres, il monte à cheval et va la chercher à sa maison de campagne. Il arrive, elle se promenait dans le parc ; il y court, le cœur palpitant ; il la rencontre, elle lui tend la main, le reçoit avec trouble ; il voit qu’il est aimé. En parcourant avec elle les allées du parc, la robe de Jenny s’embarrassa dans un buisson d’acacia épineux. Dans la suite, Mortimer fut heureux, mais Jenny fut infidèle. Je lui soutiens que Jenny ne l’a jamais aimé ; il me cite comme preuve de son amour la manière dont elle le reçut à son retour du continent, mais jamais il n’a pu me donner le moindre détail. Seulement il tressaille visiblement dès qu’il voit un buisson d’acacia ; c’est réellement le seul souvenir distinct qu’il avait conservé du moment le plus heureux de sa vie[1].

Un homme sensible et franc, un ancien chevalier, me faisait confidence ce soir (au fond de notre barque battue par un gros temps sur le lac de Garde[2]) de l’histoire de ses amours, dont à mon tour je ne ferai pas confidence au public, mais de laquelle je me crois en droit de conclure que le moment de l’intimité est comme ces belles journées du mois de mai, une époque délicate pour les plus belles fleurs, un moment qui peut être fatal et flétrir en un instant les plus belles espérances [3].

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  1. Vie de Haydn.
  2. 20 septembre 1811.
  3. À la première querelle, madame Ivernetta donna son congé au pauvre Bariac. Bariac était véritablement amoureux, ce congé le désespéra ; mais son ami Guillaume Balaon, dont nous écrivons la vie, lui fut d’un grand secours, et fit si bien qu’il apaisa la sévère Ivernetta. La paix se fit, et la