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VI
ŒUVRES DE STENDHAL.

mais l’austérité scientifique du langage me met, je pense, à l’abri de tout reproche à cet égard.

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Je connais un ou deux secrétaires de légation qui, à leur retour, pourront me rendre ce service. Jusque-là que pourrais-je dire aux gens qui nient les faits que je raconte ? Les prier de ne pas m’écouter.

On peut reprocher de l’égotisme à la forme que j’ai adoptée. On permet à un voyageur de dire : « J’étais à New-York, de là je m’embarquai pour l’Amérique du sud, je remontai jusqu’à Santa-Fé-de-Bogota. Les cousins et les moustiques me désolèrent pendant la route, et je fus privé, pendant trois jours, de l’usage de l’œil droit. »

On n’accuse point ce voyageur d’aimer à parler de soi ; on lui pardonne tous ces je et tous ces moi, parce que c’est la manière la plus claire et la plus intéressante de raconter ce qu’il a vu.

C’est pour être clair et pittoresque, s’il le peut, que l’auteur du présent voyage dans les régions peu connues du cœur humain dit : « J’allai avec madame Gherardi aux mines de sel de Hallein… La princesse Crescenzi me disait à Rome… Un jour à Berlin, je vis le beau capitaine L…. » Toutes ces petites choses sont réellement arrivées à l’auteur, qui a passé quinze ans en Allemagne et en Italie. Mais, plus curieux que sensible, jamais il n’a rencontré la moindre aventure, jamais il n’a éprouvé aucun sentiment personnel qui méritât d’être raconté ; et, si on veut lui supposer l’orgueil de croire le contraire, un orgueil plus grand l’eût empêché d’imprimer son cœur et de le vendre au public pour six francs, comme ces gens qui, de leur vivant, impriment leurs Mémoires.