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DE L’AMOUR.

étant d’inspirer une passion, et d’ordinaire, la confidente aussi ayant exposé son amabilité aux regards de l’amant.

D’un autre côté, pour l’être dévoré de cette fièvre, il n’est pas au monde de besoin moral plus impérieux que celui d’un ami devant qui l’on puisse raisonner sur les doutes affreux qui s’emparent de l’âme à chaque instant, car dans cette passion terrible, toujours une chose imaginée est une chose existante.

« Un grand défaut du caractère de Salviati, écrivait-il en 1817, en cela bien opposé à celui de Napoléon, c’est que lorsque dans la discussion des intérêts d’une passion quelque chose vient à être moralement démontré, il ne peut prendre sur lui de partir de cette base comme d’un fait à jamais établi ; et malgré lui, et à son grand malheur, il le remet sans cesse en discussion. » C’est qu’il est aisé d’avoir du courage dans l’ambition. La cristallisation qui n’est pas subjuguée par le désir de la chose à obtenir s’emploie à fortifier le courage ; en amour, elle est toute au service de l’objet contre lequel on doit avoir du courage.

Une femme peut trouver une amie perfide, elle peut trouver aussi une amie ennuyée.

Une princesse de trente-cinq ans[1], ennuyée et poursuivie par le besoin d’agir, d’intriguer, etc., etc., mécontente de la tiédeur de son amant, et cependant ne pouvant espérer de faire naître un autre amour, ne sachant que faire de l’activité qui la dévore, et n’ayant d’autre distraction que des accès d’humeur noire, peut fort bien trouver une occupation, c’est-à-dire un plaisir, et un but dans la vie, à rendre malheureuse une vraie passion ; passion qu’on a l’insolence de sentir pour une autre qu’elle, tandis que son amant s’endort à ses côtés.

C’est le seul cas où la haine produise bonheur ; c’est qu’elle procure occupation et travail.

Dans les premiers instants, le plaisir de faire quelque chose, dès que l’entreprise est soupçonnée de la société, la pique de

  1. Venise, 1819.