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DE L’AMOUR.

Il est possible que l’orgueil refuse de s’habituer à ce genre d’intérêt ; alors, après quelques mois de tempêtes, l’orgueil tue l’amour. Mais on voit cette noble passion résister longtemps avant d’expirer. Les petites querelles de l’amour heureux font longtemps illusion à un cœur qui aime encore et qui se voit maltraité. Quelques raccommodements tendres peuvent rendre la transition plus supportable. Sous le prétexte de quelque chagrin secret, de quelque malheur de fortune, l’on excuse l’homme qu’on a beaucoup aimé ; on s’habitue enfin à être querellée. Où trouver, en effet, hors de l’amour-passion, hors du jeu, hors de la possession du pouvoir[1] quelque autre source d’intérêt de tous les jours, comparable à celle-là pour la vivacité ? Si le querellant vient à mourir, on voit la victime qui survit ne se consoler jamais. Ce principe fait le lien de beaucoup de mariages bourgeois ; le grondé s’entend parler toute la journée de ce qu’il aime le mieux.

Il y a une fausse espèce d’amour à querelles. J’ai pris dans une lettre d’une femme d’infiniment d’esprit le chapitre 33 :

« Toujours un petit doute à calmer, voilà ce qui fait la soif de tous les instants de l’amour-passion… Comme la crainte la plus vive ne l’abandonne jamais, ses plaisirs ne peuvent jamais ennuyer. »

Chez les gens bourrus ou mal élevés, ou d’un naturel extrêmement violent, ce petit doute à calmer, cette crainte légère se manifestent par une querelle.

Si la personne aimée n’a pas l’extrême susceptibilité, fruit d’une éducation soignée, elle peut trouver plus de vivacité, et par conséquent plus d’agrément, dans un amour de cette espèce ; et même, avec toute la délicatesse possible, si l’on voit le fu-

  1. Quoi qu’en disent certains ministres hypocrites, le pouvoir est le premier des plaisirs. Il me semble que l’amour seul peut l’emporter, et l’amour est une maladie heureuse qu’on ne peut se procurer comme un ministère.