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Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/150

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ŒUVRES DE STENDHAL.

y a plusieurs petites ruses que l’ami guérisseur peut mettre en usage. Par exemple il fera tomber sous vos yeux, comme par hasard, que la femme que vous aimez n’a pas pour vous, hors de ce qui fait l’objet de la guerre, les égards de politesse et d’estime qu’elle accordait à un rival. Les plus petites choses suffisent, car tout est signe en amour ; par exemple, elle ne vous donne pas le bras pour monter à sa loge ; cette niaiserie, prise au tragique par un cœur passionné, liant une humiliation à chaque jugement qui forme la cristallisation, empoisonne la source de l’amour et peut le détruire.

On peut faire accuser la femme qui se conduit mal avec notre ami d’un défaut physique et ridicule impossible à vérifier ; si l’amant pouvait vérifier la calomnie, même quand il la trouverait fondée, elle serait rendue défavorable par l’imagination, et bientôt il n’y paraîtrait pas. Il n’y a que l’imagination qui puisse se résister à elle-même ; Henri III le savait bien quand il médisait de la célèbre duchesse de Montpensier.

C’est donc l’imagination qu’il faut surtout garder chez une jeune fille que l’on veut préserver de l’amour. Et moins elle aura de vulgarité dans l’esprit, plus son âme sera noble et généreuse, plus en un mot elle sera digne de nos respects, plus grand sera le danger qu’elle court.

Il est toujours périlleux pour une jeune personne de souffrir que ses souvenirs s’attachent d’une manière répétée, et avec trop de complaisance, au même individu. Si la reconnaissance, l’admiration ou la curiosité viennent redoubler les liens du souvenir, elle est presque sûrement sur le bord du précipice. Plus grand est l’ennui de la vie habituelle, plus sont actifs les poisons nommés gratitude, admiration, curiosité. Il faut alors une rapide, prompte et énergique distraction.

C’est ainsi qu’un peu de rudesse et de non-curance dans le premier abord, si la drogue est administrée avec naturel, est presque un sûr moyen de se faire respecter d’une femme d’esprit.