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Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/60

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ŒUVRES DE STENDHAL.

prend mieux la musique, ou qu’il rappelle la sensation du premier jour.

Quant aux nouvelles vues qu’un roman suggère pour la connaissance du cœur humain, je me rappelle fort bien les anciennes ; j’aime même à les trouver notées en marge. Mais ce genre de plaisir s’applique aux romans, comme m’avançant dans la connaissance de l’homme, et nullement à la rêverie, qui est le vrai plaisir du roman. Cette rêverie est innotable. La noter, c’est la tuer pour le présent, car l’on tombe dans l’analyse philosophique du plaisir ; c’est la tuer encore plus sûrement pour l’avenir, car rien ne paralyse l’imagination comme l’appel à la mémoire. Si je trouve en marge une note peignant ma sensation en lisant Old Mortality à Florence, il y a trois ans, à l’instant je suis plongé dans l’histoire de ma vie, dans l’estime du degré de bonheur aux deux époques, dans la plus haute philosophie, en un mot, et adieu pour longtemps le laisser-aller des sensations tendres.

Tout grand poète ayant une vive imagination est timide, c’est-à-dire qu’il craint les hommes pour les interruptions et les troubles qu’ils peuvent apporter à ses délicieuses rêveries. C’est pour son attention qu’il tremble. Les hommes, avec leurs intérêts grossiers, viennent le tirer des jardins d’Armide pour le pousser dans un bourbier fétide, et ils ne peuvent guère le rendre attentif à eux qu’en l’irritant. C’est par l’habitude de nourrir son âme de rêveries touchantes, et par son horreur pour le vulgaire, qu’un grand artiste est si près de l’amour.

Plus un homme est grand artiste, plus il doit désirer les titres et décorations comme rempart.