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Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/72

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ŒUVRES DE STENDHAL.

table, applaudir au bonheur de mademoiselle de Marille, jeune personne belle, spirituelle, vertueuse, qui obtient l’avantage de devenir l’épouse de M. R., vieillard malsain, repoussant, malhonnête, imbécile, mais riche, et qu’elle a vu pour la troisième fois aujourd’hui en signant le contrat.

« Si quelque chose caractérise un siècle infâme, c’est un pareil sujet de triomphe, c’est le ridicule d’une telle joie, et, dans la perspective, la cruauté prude avec laquelle la même société versera le mépris à pleines mains sur la moindre imprudence d’une pauvre jeune femme amoureuse. »

Tout ce qui est cérémonie, par son essence d’être une chose affectée et prévue d’avance, dans laquelle il s’agit de se comporter d’une manière convenable, paralyse l’imagination et ne la laisse éveillée que pour ce qui est contraire au but de la cérémonie et ridicule ; de là l’effet magique de la moindre plaisanterie. Une pauvre jeune fille, comblée de timidité et de pudeur souffrante durant la présentation officielle du futur, ne peut songer qu’au rôle qu’elle joue ; c’est encore une manière sûre d’étouffer l’imagination.

Il est beaucoup plus contre la pudeur de se mettre au lit avec un homme qu’on n’a vu que deux fois, après trois mots latins dits à l’église, que de céder malgré soi à un homme qu’on adore depuis deux ans. Mais je parle un langage absurde.

C’est le p...... qui est la source féconde des vices et du malheur qui suivent nos mariages actuels. Il rend impossible la liberté pour les jeunes filles avant le mariage, et le divorce après quand elles se sont trompées, ou plutôt quand on les a trompées dans le choix qu’on leur fait faire. Voyez l’Allemagne, ce pays des bons ménages ; une aimable princesse (madame la duchesse de Sa…) vient de s’y marier en tout bien tout honneur pour la quatrième fois, et elle n’a pas manqué d’inviter à la fête ses trois premiers maris, avec lesquels elle est très-bien. Voilà l’excès ; mais un seul divorce, qui punit un mari de ses tyrannies, empêche des milliers de mauvais ménages. Ce qu’il y a de