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ŒUVRES DE STENDHAL.

CHAPITRE XXVIII.

DE L’ORGUEIL FÉMININ.


Les femmes entendent parler toute leur vie, par les hommes, d’objets prétendus importants, de gros gains d’argent, de succès à la guerre, de gens tués en duel, de vengeances atroces ou admirables, etc. Celles d’entre elles qui ont l’âme fière sentent que, ne pouvant atteindre à ces objets, elles sont hors d’état de déployer un orgueil remarquable par l’importance des choses sur lesquelles il s’appuie. Elles sentent palpiter dans leur sein un cœur qui, par la force et la fierté de ses mouvements, est supérieur à tout ce qui les entoure, et cependant elles voient les derniers des hommes s’estimer plus qu’elles. Elles s’aperçoivent qu’elles ne sauraient montrer d’orgueil que pour de petites choses, ou du moins que pour des choses qui n’ont d’importance que par le sentiment, et dont un tiers ne peut être juge. Tourmentées par ce contraste désolant entre la bassesse de leur fortune et la fierté de leur âme, elles entreprennent de rendre leur orgueil respectable par la vivacité de ses transports, ou par l’implacable ténacité avec laquelle elles maintiennent ses arrêts. Avant l’intimité, ces femmes-là se figurent, en voyant leur amant, qu’il a entrepris un siège contre elles. Leur imagination est employée à s’irriter de ses démarches, qui, après tout, ne peuvent pas faire autrement que de marquer de l’amour, puisqu’il aime. Au lieu de jouir des sentiments de l’homme qu’elles préfèrent, elles se piquent de vanité à son égard ; et enfin, avec l’âme la plus tendre, lorsque sa sensibilité n’est pas fixée sur un seul objet, dès qu’elles aiment, comme une coquette vulgaire, elles n’ont plus que de la vanité.

Une femme à caractère généreux sacrifiera mille fois sa vie