Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/133

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superbe, mortelle au premier chef. Ah ! je l’ai retrouvée, je l’ai retrouvée ! » Telle était la joie de madame de Bonnivet ; c’était en quelque sorte une joie d’artiste.

Depuis qu’elle s’occupait à propager le nouveau protestantisme, qui doit succéder au christianisme, dont le temps est passé, et qui, comme on sait, est sur le point de subir sa quatrième métamorphose, elle entendait parler d’êtres rebelles ; ils forment la seule objection au système du mysticisme allemand, fondé sur l’existence de la conscience intime du bien et du mal. Elle avait le bonheur d’en découvrir un ; elle seule au monde connaissait son secret. Et cet être rebelle était parfait ; car sa conduite morale se trouvant strictement honnête, aucun soupçon d’intérêt personnel ne venait attaquer la pureté de son diabolicisme.

Je ne répéterai point toutes les bonnes raisons que madame de Bonnivet donna ce jour-là à Octave pour lui persuader qu’il avait un sens intime. Le lecteur n’a peut-être pas le bonheur de se trouver à trois pas d’une cousine charmante qui le méprise de tout son cœur et dont il brûle de reconquérir l’amitié. Ce sens intime, comme son nom l’indique, ne peut se manifester par aucun signe extérieur ; mais rien de plus simple et de plus facile à comprendre, disait madame de Bonnivet, vous êtes un être rebelle, etc., etc. Ne voyez-vous pas, ne sentez-vous pas que, hors l’espace et la durée, il n’y a rien de réel ici-bas ?…

Pendant tous ces beaux raisonnements, une joie réellement un peu diabolique brillait dans les regards du vicomte de Malivert ; et madame de Bonnivet, femme d’ailleurs fort clairvoyante, s’écriait : Ah ! mon cher Octave, la rébellion est évidente dans vos yeux. Il faut avouer que ces grands yeux noirs, ordinairement si découragés et dont les traits de flamme s’échappaient à travers les boucles des plus beaux cheveux blonds du monde, étaient bien touchants en ce moment. Ils