Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/207

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Octave sortit de la cour du château avec le sentiment qu’on aurait en marchant à la mort ; et, à vrai dire, il eût été heureux de n’avoir que la douleur d’un homme qu’on mène au supplice. Il avait redouté la solitude du voyage, il ne souffrit presque pas ; il s’étonna de ce moment de répit que lui donnait le malheur.

Il venait d’avoir une leçon de modestie trop sévère pour attribuer cette tranquillité à cette vaine philosophie qui faisait autrefois son orgueil. À cet égard le malheur avait fait de lui un homme nouveau. Ses forces étaient épuisées par tant d’efforts et de sentiments violents ; il ne pouvait plus sentir. À peine fut-il descendu d’Andilly dans la plaine, qu’il tomba dans un sommeil léthargique, et il fut étonné, en arrivant à Paris, de se trouver conduit par le domestique qui, en partant, était derrière son cabriolet.

Armance, cachée dans les combles du château, derrière une persienne, avait suivi de l’œil tous les détails de ce départ. Lorsque le cabriolet d’Octave eut disparu derrière les arbres, immobile à sa place, elle se dit : Tout est fini, il ne reviendra pas.

Vers le soir, après qu’elle eut longtemps pleuré, une question qui se présenta fit un peu diversion à sa douleur. Comment cet Octave si distingué par la politesse de ses manières, et dont l’amitié était si attentive, si dévouée, peut-être même si tendre, ajouta-t-elle en rougissant, hier soir lorsque nous nous promenions ensemble, a-t-il pu prendre un ton si dur, si insultant, si étranger à toute sa manière d’être, dans l’intervalle de quelques heures ? Certainement il n’a pu rien apprendre de moi qui pût l’offenser.

Armance cherchait à se rappeler tous les détails de sa conduite, avec le désir secret de rencontrer quelque faute qui pût justifier le ton bizarre qu’Octave avait pris avec elle. Elle ne trouvait rien de répréhensible ; elle était malheureuse