Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/216

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On prit du thé. En se levant de table, M. de Crêveroche nomma le bois de Meudon.

La politesse affectée de ce monsieur-là commence à me donner de l’humeur pour mon compte, dit l’officier de l’ancienne armée, en remontant dans le cabriolet d’Octave. Laissez-moi mener, ne vous gâtez pas la main. Combien y a-t-il de temps que vous n’êtes entré dans une salle d’armes ? — Trois ou quatre ans, dit Octave, c’est du plus loin qu’il me souvienne. — Quand avez-vous tiré le pistolet en dernier lieu ? — Il y a six mois peut-être, mais jamais je n’ai songé à me battre au pistolet. — Diable, dit M. Dolier, six mois ! ceci me contrarie. Tendez le bras vers moi. Vous tremblez comme la feuille. — C’est un malheur que j’ai toujours eu, dit Octave.

M. Dolier, fort mécontent, ne dit plus mot. L’heure silencieuse que l’on mit pour aller de Paris à Meudon fut pour Octave l’instant le plus doux qu’il eût trouvé depuis son malheur. Il n’avait nullement cherché ce combat. Il comptait se défendre vivement ; mais enfin, s’il était tué, il n’aurait aucun reproche à se faire. Dans l’état où étaient ses affaires, la mort était pour lui le premier des bonheurs.

On arriva dans un lieu reculé du bois de Meudon ; mais M. de Crêveroche, plus affecté et plus dandy qu’à l’ordinaire, trouva des objections ridicules contre deux ou trois places. M. Dolier se contenait à peine ; Octave avait beaucoup de peine à le retenir. — Laissez-moi du moins le témoin, dit M. Dolier, je veux lui faire entendre ce que je pense de tous les deux. — Renvoyez ces idées à demain, reprit Octave d’un ton sévère ; songez qu’aujourd’hui vous avez eu la bonté de me promettre de me rendre un service.

Le témoin de M. de Crêveroche nomma les pistolets avant de parler d’épées. Octave trouva la chose de mauvais goût et fit un signe à M. Dolier qui accepta sur-le-champ. Enfin l’on fit feu : M. de Crêveroche, tireur fort habile, eut le premier