Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/229

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Plusieurs fois madame de Malivert était venue sur la pointe du pied, jusqu’à la porte de sa chambre. Elle n’avait point été aperçue par deux êtres qui avaient tout oublié, jusqu’à la mort cruelle prête à les séparer. Elle craignit à la fin que l’agitation d’Octave n’augmentât le danger ; elle s’approcha et leur dit presque en riant : Savez-vous, mes enfants, qu’il y a plus d’une heure et demie que vous vous parlez, cela peut augmenter ta fièvre. — Chère maman, je puis t’assurer, répondit Octave, que depuis quatre jours je ne me suis pas senti aussi bien. Il dit à Armance : Une chose m’agite quand j’ai la fièvre très-fort. Ce pauvre marquis de Crêveroche avait un chien fort beau qui paraissait lui être très-attaché. Je crains que cette pauvre bête ne soit négligée depuis que son maître n’est plus. Voreppe ne pourrait-il pas se déguiser en braconnier et aller acheter ce beau chien braque ? Je voudrais du moins avoir la certitude qu’il est bien traité. J’espère le voir. Dans tous les cas, je vous le donne, ma chère cousine.

Après cette journée si agitée, Octave tomba dans un profond sommeil, mais le lendemain le tétanos reparut. M. Duquerrel se crut obligé de parler au marquis, et le désespoir fut au comble dans cette maison. Malgré la roideur de son caractère, Octave était chéri des domestiques ; on aimait sa fermeté et sa justice.

Pour lui, quoiqu’il souffrît quelquefois d’une manière atroce, plus heureux qu’il ne l’avait été dans le cours de toute sa vie, l’approche de la fin de cette vie la lui faisait juger enfin d’une manière raisonnable et qui redoublait son amour pour Armance. C’était à elle qu’il devait le peu d’instants heureux qu’il apercevait au milieu de cet océan de sensations amères et de malheurs. Par ses conseils, au lieu de bouder le monde, il avait agi, et s’était guéri de beaucoup de faux jugements qui augmentaient sa misère. Octave souffrait beaucoup, mais