Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/38

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parfait. Ce fut à cette époque qu’il reçut au pied une blessure, d’un coup de pointe, dans un duel.

Ne pouvant rester auprès du général Michaud, parce que, d’après une récente décision, il fallait être pourvu du grade de lieutenant pour remplir les fonctions d’aide de camp, Beyle reçut, le 17 septembre 1801, l’ordre de rejoindre le 6e régiment de dragons (auquel il n’avait pas cessé d’appartenir), alors en garnison à Savigliano, dans le Piémont. Prenant bientôt en dégoût la vie militaire, hors du champ de bataille, après une année de cette existence maussade, il donna sa démission le troisième jour complémentaire de l’an X (20 septembre 1802), pendant la petite paix qui suivit le traité d’Amiens[1] (27 mars 1802), ce qui irrita beaucoup ses protecteurs. Cela fait, il revint pour un moment chez ses parents, à Grenoble.

Le voici, lui dont les idées et les sentiments avaient éprouvé de si notables modifications dans sa vie aventureuse à Paris et en Italie, au sein d’une famille qui est restée absolument ce qu’elle était au moment où il a quitté le toit paternel. C’est un jeune étourdi, soldat par les formes, libertin par la pensée, qui veut réformer radicalement des gens vieux, respectant, à peu de chose près, tout ce qu’il méprise, et ayant en horreur tout ce qui fait l’objet de ses prédilections.

Cette folle tentative n’ayant eu d’autre résultat que de soulever dans la maison un violent orage contre lui, Beyle obtint de son père la promesse d’une pension de cent cinquante francs par mois, avec la permission d’habiter Paris. Il vint s’y établir en juin 1803, et se logea rue d’Angivilliers, à un cinquième étage, ayant vue sur la colonnade du Louvre. Là, vivant solitairement, à mille lieues de la vie réelle, il employait le temps à refaire son éducation. C’est à quoi nous sommes tous condamnés ; car, quiconque ne sait pas lui-même achever son éducation, reste et doit rester dans la classe commune.

Les Lettres persanes, Montaigne, Cabanis, Destutt de Tracy,

  1. L’Angleterre recommença les hostilités contre la France le 16 mai 1803.