Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/64

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Marie-Thérèse et Joseph II ne le permettaient pas. Les codes exigent des actions pour condamner ; la police actuelle interprète les codes tant qu’elle peut, mais elle n’est pas encore arrivée à les changer. Buratti répétait souvent : Je mourrai dans l’exil ; je serai obligé de me sauver. »

Beyle ne fit pas un long séjour à Trieste ; M. de Metternich ayant ouï parler de certains passages mal sonnants pour l’Autriche, dans les ouvrages publiés par le nouveau consul, lui refusa l’exequatur. Force fut donc au ministre des affaires étrangères de lui assigner une autre résidence ; il nomma Beyle, consul à Civita-Vecchia, en avril 1831. On pouvait également redouter des difficultés de la part du gouvernement pontifical ; car il n’avait guère été plus ménagé dans les écrits de Beyle. Mais le pape n’en fit aucune ; il n’a pas d’armée à mettre en campagne, pour soutenir les répugnances que pourrait éprouver son segretario di Stato.

À peine installé à Civita-Vecchia, il s’aperçut que le séjour de cette petite ville lui serait insupportable. Une maladie assez grave, qu’il fit peu de temps après y être arrivé, ajouta encore au dégoût ressenti à la première vue. Loin des salons de Paris, privé d’une société d’élite où sa place était restée vide, il succombait habituellement sous le poids des plus monotones loisirs. Que devenir au milieu de bourgeois qui se couchent à dix heures du soir ? La seule compensation qu’offrait cet exil, était de pouvoir aller souvent à Rome ; d’y faire même d’assez longs séjours.

Vers le milieu du mois d’octobre 1832, Beyle, assis sur les marches de l’église de San-Pietro in Montorio, contemplait un magnifique coucher du soleil. Son âme, ravie des pompeux accidents produits par les rayons de l’astre à son déclin, jouissait délicieusement de l’imposant tableau qui allait disparaître dans les ténèbres. Plongé d’abord dans une mélancolie douce, son esprit prit insensiblement un caractère de tristesse, qui augmenta à mesure que les teintes de la lumière s’affaiblissaient. Au moment où la nuit succéda au crépuscule, Beyle, se repliant sur lui-même, portant sa pensée sur ses jeunes années surtout, s’avoua douloureusement que, dans trois mois, il aurait cinquante ans ! Cette découverte l’affligea