Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/70

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de ses saillies effrayaient les gens médiocres, et lui valaient bien des ennemis. Lorsqu’il n’avait pas d’émotion, il était sans esprit. D’ailleurs, il n’avait pas de mémoire, ou dédaignait de l’appeler à son secours. Sa parole, alors, était aussi discrète que l’expression de sa physionomie l’était peu. Son orgueil aurait été au désespoir de laisser deviner ses sentiments.

» Un mot touchant, une expression vraie du malheur, entendue dans la rue, surprise en passant près d’une boutique d’artisan, l’attendrissait jusqu’aux larmes. Mais s’il y avait la moindre pompe (sostenutezza), la moindre possibilité d’affectation dans l’expression d’une douleur, quelque légitime qu’en fût le motif, alors il n’y avait plus que l’ironie la plus piquante dans les regards et dans les mots de Roizard. Jamais rien de sérieux, jamais rien de pompeux, de triste même, dans sa conversation. Il ne parlait jamais de ce qui, seul, avait droit à son intérêt : un sentiment vrai, ou l’héroïsme se sacrifiant pour la patrie !

» Dès l’âge de seize ans, cet être, ainsi fait, avait été placé dans la sphère d’activité de Napoléon ; il l’avait suivi à Moscou et ailleurs. Pendant qu’il courait les champs, mangeant son bien à la suite du grand homme, son père se ruinait. Ruiné lui-même personnellement en 1814, par la chute de Napoléon, il avait voyagé et vécu en Italie. À la révolution de 1830, Roizard, qui avait vingt ans de service, était rentré dans la carrière des écritures officielles, dans le but unique d’arriver à une pension de retraite, pour laquelle il fallait trente ans de service.

» Il arrivait à Rome sans ambition ; uniquement pour passer dix années sans trop d’ennui ; et ensuite retourner achever sa vie à Paris, ou ailleurs, dans une situation un peu au-dessus de la pauvreté. »

On connaît la faiblesse de Canova pour la peinture ! Peu touché de l’immense succès que ses immortels ouvrages obtenaient dans le monde entier, il préférait le pinceau au ciseau ; cependant, ses tableaux ne s’élevèrent pas au-dessus du médiocre, et il en éprouva un profond chagrin. Talma recevait avec une faveur particulière les suffrages qui lui étaient