Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce serait laisser une lacune dans la biographie de Beyle que de ne rien dire de son physique, ainsi que de petits travers qui en faisaient encore ressortir les imperfections. Le lecteur s’intéresse davantage aux gens qu’il connaît de vue, soit par les traits de leur visage, soit par la pose habituelle de leur individu. Toute histoire d’un homme, ayant fixé l’attention du public, contient des détails sur ses qualités extérieures ; détails dont nous sommes tous curieux, tant il est de notre nature d’y attacher du prix. Dans le monde, aucune célébrité ne commence à percer qu’on ne s’informe de ce qu’est physiquement celui qui vient demander place dans l’opinion publique.

Je vais donc essayer de donner une idée de la personne de Beyle.

Il était d’une taille moyenne, et chargé d’un embonpoint qui s’était beaucoup accru avec l’âge ; ses formes athlétiques rappelaient un peu celles de l’Hercule Farnèse. Il avait le front beau, l’œil vif et perçant, la bouche sardonique, le teint coloré, beaucoup de physionomie, le col court, les épaules larges et légèrement arrondies, le ventre développé et proéminent, les jambes courtes, la démarche assurée. Ce que Beyle avait de mieux, c’était la main, et pour attirer l’attention sur elle, il tenait ses ongles démesurément longs. En 1834, M. Jalley, faisant à Rome la statue de Mirabeau, obtint de Beyle la permission de dessiner sa main, pour la donner au prince des orateurs, ce qui le flatta singulièrement ; car chacun sait que Mirabeau avait la main très-belle. Le Mirabeau de M. Jalley figura à l’exposition au Louvre en 1835. Je serais tenté de croire que le sculpteur, tout en copiant la main, ne négligea pas de prendre quelques-unes des lignes de l’abdomen de son modèle.

Cet ensemble physique, on le voit, laissait beaucoup à désirer, sous le rapport de la beauté et de l’élégance. Malgré les illusions que l’amour-propre et des succès de salon peuvent enfanter, Beyle ne se dissimulait pas absolument ses désavantages. Mais il se consolait en pensant que les qualités de l’âme, l’esprit, le naturel, font disparaître la laideur, quand elle est sans difformité.