Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/91

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Octave regarda sa mère avec tendresse ; elle savait si cette âme était glacée. On pouvait dire de madame de Malivert qu’elle était restée jeune quoiqu’elle approchât de cinquante ans. Ce n’est pas seulement parce qu’elle était encore belle ; mais avec l’esprit le plus singulier et le plus piquant, elle avait conservé une sympathie vive et obligeante pour les intérêts de ses amis, et même pour les malheurs et les joies des jeunes gens. Elle entrait naturellement dans leurs raisons d’espérer ou de craindre ; et bientôt elle semblait espérer ou craindre elle-même. Ce caractère perd de sa grâce depuis que l’opinion semble l’imposer comme une convenance aux femmes d’un certain âge qui ne sont pas dévotes ; mais jamais l’affectation n’approcha de madame de Malivert.

Ses gens remarquaient depuis un certain temps qu’elle sortait en fiacre ; et souvent, en rentrant, elle n’était pas seule. Saint-Jean, un vieux valet de chambre curieux, qui avait suivi ses maîtres dans l’émigration, voulut savoir quel était un homme que plusieurs fois madame de Malivert avait amené chez elle. Le premier jour, Saint-Jean perdit l’inconnu dans une foule ; à la seconde tentative, la curiosité de cet homme eut plus de succès : il vit le personnage qu’il suivait entrer à l’hôpital de la Charité, et apprit du portier que cet inconnu était le célèbre docteur Duquerrel. Les gens de madame de Malivert découvrirent que leur maîtresse amenait successivement chez elle les médecins les plus célèbres de Paris, et presque toujours elle trouvait l’occasion de leur faire voir son fils.

Frappée des singularités qu’elle observait chez Octave, elle redoutait pour lui une affection de poitrine ; mais elle pensait que si elle avait le malheur de deviner juste, nommer cette maladie cruelle, ce serait hâter ses progrès. Des médecins, gens d’esprit, dirent à madame de Malivert que son fils n’avait d’autre maladie que cette sorte de tristesse mécontente et ju-