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» La seule chose que je regrette (en mars 1836), c’est le séjour de Paris ; mais je serais bientôt las de Paris, comme je suis las de ma solitude de Civita-Vecchia. »

Cette dernière réflexion, tant soit peu chagrine, donne la mesure de l’instabilité qu’il y avait dans son esprit.

Lors du débarquement des troupes françaises à Ancône (le 23 février 1832), il se manifesta de l’effervescence dans les villes voisines. Sinigaglia, la plus proche d’Ancône, eut l’initiative de ce mouvement insurrectionnel ; elle invoquait son origine gauloise, d’après l’étymologie de son nom, et se disposait à chasser les autorités pontificales. Cette nouvelle donna beaucoup d’inquiétude au commandant des troupes françaises à Ancône. Il lui convenait, dans l’intérêt de notre occupation, de maintenir le calme parmi ces populations, et de ne pas leur laisser prendre le change sur le but de l’expédition.

Beyle, qui avait été appelé à Ancône, pour y remplir momentanément des fonctions administratives, auprès du petit corps composé de douze cents Français, partit sur-le-champ pour Sinigaglia ; il alla trouver les chefs de l’insurrection, réunis dans un café ; il parvint à leur faire entendre raison, à les calmer, et le mouvement qui avait été annoncé pour le lendemain matin, n’eut pas lieu. Ce fut, dans la circonstance, un important service rendu au pays et à l’occupation française.

Beyle était sujet aux atteintes de l’ennui, cette abominable maladie, le fléau des femmes à Paris. Lorsqu’il en éprouvait des accès, ses forces morales subissaient une prostration complète. Cependant, il avait à sa disposition la recette infaillible pour échapper à l’ennui : l’exercice du corps, celui des idées, l’occupation du cœur. Pour lui, le mouvement de l’esprit, les objets nouveaux qui l’entretiennent, la distraction, enfin, étaient une condition nécessaire du talent, de la gaieté, du bonheur, de la santé même. La scène variée du monde mettait en jeu ses pensées et ravivait son imagination ; dans une retraite prolongée, au contraire, ses facultés le dévoraient.

Au printemps de 1833, Beyle revint à Paris ; le congé de six mois que lui avait accordé le ministre étant expiré, il reprit tristement le chemin de Civita-Vecchia.