Page:Stendhal - Chroniques italiennes, I, 1929, éd. Martineau.djvu/88

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sement ce magnifique bouquet dont les fleurs étaient liées avec un fil de soie très fort. Elle essaya d’arracher une fleur mais ne put en venir à bout ; puis elle fut saisie d’un remords. Parmi les jeunes filles de Rome, arracher une fleur, mutiler d’une façon quelconque un bouquet donné par l’amour, c’est s’exposer à faire mourir cet amour. Elle craignait que Jules ne s’impatientât, elle courut à sa fenêtre ; mais, en y arrivant, elle songea tout à coup qu’elle était trop bien vue, la lampe remplissait la chambre de lumière. Hélène ne savait plus quel signe elle pouvait se permettre ; il lui semblait qu’il n’en était aucun qui ne dît beaucoup trop.

Honteuse, elle rentra dans sa chambre en courant. Mais le temps se passait ; tout à coup il lui vint une idée qui la jeta dans un trouble inexprimable : Jules allait croire que, comme son père, elle méprisait sa pauvreté ! Elle vit un petit échantillon de marbre précieux déposé sur sa table, elle le noua dans son mouchoir, et jeta ce mouchoir au pied du chêne vis-à-vis sa fenêtre. Ensuite, elle fit signe qu’on s’éloignât ; elle entendit Jules lui obéir ; car, en s’en allant, il ne cherchait plus à dérober le bruit de ses pas. Quand il eut atteint le sommet de la ceinture de rochers qui sépare le lac des dernières