Page:Stendhal - Chroniques italiennes, Lévy, 1855.djvu/210

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fort, peut-être faisait-il courir ce bruit lui-même ; il avait les yeux grands et expressifs, mais la paupière supérieure retombait un peu trop ; il avait le nez trop avancé et trop grand, les lèvres minces et un sourire plein de grâce. Ce sourire devenait terrible lorsqu’il fixait le regard sur ses ennemis ; pour peu qu’il fût ému ou irrité, il tremblait excessivement et de façon à l’incommoder. Je l’ai vu dans ma jeunesse, sous le pape Buoncompagni, aller à cheval de Rome à Naples, sans doute pour quelqu’une de ses amourettes, il passait dans les bois de San Germano et de la Fajola, sans avoir nul souci des brigands, et faisait, dit-on, la route en moins de vingt heures. Il voyageait toujours seul, et sans prévenir personne ; quand son premier cheval était fatigué, il en achetait ou en volait un autre. Pour peu qu’on lui fît des difficultés, il ne faisait pas difficulté, lui, de donner un coup de poignard. Mais il vrai de dire que du temps de ma jeunesse, c’est-à-dire quand il avait quarante-huit ou cinquante ans, personne n’était assez hardi pour lui résister. Son grand plaisir était surtout de braver ses ennemis.

Il était fort connu sur toutes les routes des États de Sa Sainteté ; il payait généreusement, mais aussi il était capable, deux ou trois mois après une offense à lui faite, d’expédier un de ses sicaires pour tuer la personne qui l’avait offensé.

La seule action vertueuse qu’il ait faite pendant toute sa longue vie, a été de bâtir, dans la cour de son vaste palais près du Tibre, une église dédiée à Saint Thomas, et