Page:Stendhal - Chroniques italiennes, Lévy, 1855.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

père s’enfermait dans son appartement, et ensuite allait vers l’inconnue ; il redescendait bientôt, et montait en voiture pour aller chez la comtesse Vitteleschi. Dès qu’il était sorti, Vanina montait à la petite terrasse, d’où elle pouvait apercevoir l’inconnue. Sa sensibilité était vivement excitée en faveur de cette jeune femme si malheureuse ; elle cherchait à deviner son aventure. La robe ensanglantée jetée sur une chaise paraissait avoir été percée de coups de poignard. Vanina pouvait compter les déchirures. Un jour elle vit l’inconnue plus distinctement : ses yeux bleus étaient fixés dans le ciel ; elle semblait prier. Bientôt des larmes remplirent ses beaux yeux : la jeune princesse eut bien de la peine à ne pas lui parler. Le lendemain Vanina osa se cacher sur la petite terrasse avant l’arrivée de son père. Elle vit don Asdrubale entrer chez l’inconnue ; il portait un petit panier où étaient des provisions. Le prince avait l’air inquiet, et ne dit pas grand’-chose. Il parlait si bas que, quoique la porte-fenêtre fût ouverte, Vanina ne put entendre ses paroles. Il partit aussitôt.

« Il faut que cette pauvre femme ait des ennemis bien terribles, se dit Vanina, pour que mon père, d’un caractère si insouciant, n’ose se confier à personne et se donne la peine de monter cent vingt marches chaque jour. »

Un soir, comme Vanina avançait doucement la tête vers la croisée de l’inconnue, elle rencontra ses yeux, et tout fut découvert. Vanina se jeta à genoux, et s’écria :

— Je vous aime, je vous suis dévouée.

L’inconnue lui fit signe d’entrer.