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STENDHAL

dessiner, je ne vois pas la plus petite raison pour que notre voyageur soit triste. Le fait est que le plaisir est vif, qu’il réclame toute l’attention dont lame est susceptible. On est sérieux, mais l’on n’est point triste : la différence est grande. — Nous entendons, madame, dit un des assistants, vous ne parlez pas de ces malheureux auxquels il semble que tous les rossignols rendent les mêmes sons. — La différence entre être sérieux et être triste (l’esserserio e Fesser mesto), reprit Mme  Gherardi, est décisive lorsqu’il s’agit de résoudre un problème tel que celui-ci : « Oldofredi aime-t-il la belle Florenza ? » Je crois qu’Oldofredi aime, parce que, après avoir été fort occupé de la Florenza, je l’ai vu triste et non pas seulement sérieux. Il est triste, parce que voici ce qui lui est arrivé. Après s’être exagéré le bonheur que pourrait lui donner le caractère annoncé par la figure raphaélesque, les belles épaules, les beaux bras, en un mot les formes dignes de Canova de la belle marchesina Florenza, il a probablement cherché à obtenir la confirmation des espérances qu’il avait osé concevoir. Très probablement aussi, la Florenza, effrayée d’aimer un étranger qui peut quitter Bologne au premier moment, et surtout très fâchée qu’il ait pu concevoir sitôt des espérances, les lui aura ôtées avec barbarie. »

Nous avions le bonheur de voir tous les jours de la vie Mme  Gherardi ; une intimité parfaite régnait dans cette société ; on s’y comprenait à demi mot ; souvent j’y ai vu rire de plaisanteries qui n’avaient pas eu besoin de la parole pour se faire entendre : un coup d’œil avait tout dit. Ici, un lecteur français s’apercevra qu’une jolie femme d’Italie se livre avec folie à toutes les idées bizarres qui lui passent par la tête. A Rome, à Bologne, à Venise, une jolie femme est reine absolue ; rien ne peut être plus complet que le despotisme qu’elle exerce dans sa société. A Paris, une jolie femme a toujours peur de l’opinion et du bourreau de l’opinion : le ridicule. Elle a constamment au fond du cœur la crainte des plaisanteries, comme un roi absolu