Page:Stendhal - Correspondance, I.djvu/272

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autres gens sensibles, de pleurer pour une idée qui nous passe par la tête. En venant d'acheter ce papier, je passais par une rue nommée des Orties et assez bien nommée, car ii n'y passe personne ; un des côtés est formé par la majestueuse galerie du Muséum. Cette galerie est très élevée et très noire ; la rue est étroite et silencieuse, et vis-à-vis des maisons très hautes. J'ai rencontré là une femme de quarante ans, vieille de misère, qui portait son enfant derrière elle et qui chantait pour demander l'aumône. Cela, joint à l'espect de la rue qui faisait déîâ son effet, m'a touché. En prêtant l'oreille, j'ai en­tendu qu'elle chantait une chanson de corps de garde ; cela m'a serré le cœur et fait venir les larmes aux yeux. J'ai doublé le pas, et ce n'est que sur le pont Royal que je me suis aperçu que je ne lui avais pas donné. Il y a tant de charlatans pauvres à Paris qu'il est nécessaire, lors­qu'on n'est pas très riche, de ne pas donner. Cependant, je me suis repenti de n'avoir pas donné à cette pauvre mère. J'ai ré­fléchi ensuite que sa chanson m'avait fait venir les larmes aux yeux, parce que je voyais que les paroles,* qui en étaient cra­puleuses, devaient détruire dans le cœur des écoutants le sentiment duquel elle espérait quelque charité. Chaque mère, en